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Séminaire du 13 Décembre 2014

A propos de la différence des sexes, Geneviève Morel disait que c’était une affaire de signifiant. Puisqu’on dit : « c’est un garçon » ou « c’est une fille », le sexe dépendrait alors de ce qui est dit.

Si tel était le cas, Lacan aurait été délirant. Il n’aurait pas pris en compte le réel des corps. A la naissance d’un bébé, on ne dit pas seulement : c’est un garçon ou une fille. On dit aussi : il est vivant ou il est mort.

Cette suprématie de la parole par rapport au registre du réel des corps est une dérive. Pour Lacan ce qui importe c’est le nouage RSI, avec un accent sur le Réel à la fin de son élaboration.

Je mène un autre séminaire sur « l’interdit de la représentation » (Moïse et le monothéisme), je me suis rendu compte que Freud avait bâti sa pensée sur les conditions de représentation de ce qui est irreprésentable. Cet interdit est certes important pour les juifs mais même les penseurs juifs n’ont jamais été au-delà, sur ce que Freud appelait « le progrès de la vie de l’esprit ». Cette question n’est donc pas limitée à l’interdit de l’idolâtrie.

L’art par exemple, est-ce qu’une peinture représente ou rend compte de l’irreprésentable ? Eh bien ! Tout ce qui est digne du nom de chef-d’œuvre comporte un vide, un trou.

Les figures de l’irreprésentable renvoient à l’ombilic de rêve chez Freud, équivalent de ce vide au cœur d’un chef d’œuvre. L’équivalent d’un tableau, c’est un rêve avec son ombilic.

Il y a aussi le refoulement primaire comme irreprésentable ; il y a aussi le fantasme fondamental (scène primitive) ; le complexe de castration, c’est pareil… Ce sont des béants, des béances du corps, des fragmentations du corps sous l’effet de la pulsion.

Au cœur de l’inconscient, un réel s’impose. Il est répétitif et pulsionnel. C’est quelque chose de vivant qui est mis en mouvement parla pulsion elle-même.

La pulsion elle-même n’est pas représentable, elle échappe à ce qui est visible mais elle est indispensable à faire surgir l’objet dans le champ du visuel.

Il n’y a que des « tenants-lieu » de la représentation (worstellung repräsentant), c’est à dire ce qu’il y a d’irreprésentable dans toute représentation.

On interdit de représenter ce qui est irreprésentable : soulagement !

 

Un des romans de Chaïm Potok raconte l’histoire d’un fils élevé dans une famille ultra orthodoxe (hassidim de Brooklyn) qui est poussé à peindre. Son ontologie va résumer la phylogénèse de la peinture. Il ira jusqu’à peindre des crucifixions.

 

Toutes ces choses posent la question de l’articulation de l’individu et du collectif, pour la psychanalyse.

Dans la vie psychique d’un individu pris isolément, l’Autre figure de l’irreprésentable, intervient en tant que modèle, à la fois soutien et adversaire du sujet. Et de ce fait, la psychologie individuelle est d’emblée une psychologie sociale puisque Lacan définit le discours comme le discours de l’Autre. Dans la psychose, l’Autre absolu devient une figure possible de Dieu comme chez Schreiber, la réalité n’est plus trouée ; dans la perversion, le trou est bouché.

 

Aujourd’hui, la distinction entre vie privée et publique est de plus en plus obsolète. On ne parle plus de vérité mais de transparence. Or transparence, ça veut dire visibilité.

 

Freud postulait que la psychologie collective est indissociable de l’analyse du moi. Le monothéisme inverse les priorités de cette analyse de Freud et va du singulier au collectif.

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Qu’est-ce qui fait obstacle à ce que nous puissions percevoir la dimension ce cette béance en soi … Et dans l’autre ?

Réponse : c’est le narcissisme. L’interdit de la représentation c’est une agression pour le narcissisme. Ce qui fait obstacle à la cure relève de l’image, c’est précisément ce qui se représente. Ce narcissisme nous rend inaccessible ce qui, dans un premier temps, nous apparaît comme invraisemblable.

 

La foule pense par images. Partout où il y a des foules, on a des images qui neutralisent la pensée de ce qu’il y a d’invraisemblable : l’improbable de ce qui se passe dans l’inconscient.

Exemple d’un ado « accro » aux jeux vidéo violents. Il dit que ce n’est pas pour lui un défoulement. Il joue sans éprouver le moindre affect. Ce jeune homme est d’une famille franco- israélienne. Ses grands parents ont connu les camps. Ce qu’on fait les nazis, dit-il, au point de vue de l’image, c’est vraiment formidable, jusqu’à la croix gammée qui est un logo nazi. Et il parle de ça d’une façon tout à fait désaffectée.

Ce qui me frappe, c’est que l’image, ce qui est de l’ordre de l’image (donc du narcissisme), ça se présente sous une forme qui ne connaît ni doute ni incertitude.

Apprendre à décoder une image ; l’incertitude ça commence quand on renonce à l’image.

Hitler, dans Mein Kampf, prévoyait que les nazis allaient l’emporter sur les socio démocrates car ils parlaient en images alors que les autres se référaient à des écrits.

 

Au dernier séminaire (9/XII/2014), l’évocation du conflit avec Hannah Arendt permettait de mettre l’accent sur l’unité de l’homme en tant que cette unité est une illusion. Le sujet est divisé or l’image tend vers l’unité. L’homme est divisé entre de nombreux plans, entre les intérêts de sa libido et ceux de son moi. Mais aussi il est divisé dans son rapport à la vérité.

La subversion de la psychanalyse consiste dans son rapport à la vérité qui est le rapport de la vérité à la béance : une vérité insaisissable. La vérité n’est pas représentable. Les tenants lieu de la vérité le sont ; ainsi les intégristes parlent-ils au nom de la vérité.

 

Pour le dire de façon plus lacanienne : « c’est la place qu’elle occupe dans le discours ». Dans les 4 discours, la vérité vient à une certaine place. La vérité, c’est d’abord une place.

Freud lui, met en évidence que le psychisme ménage dans tous les cas une place pour la vérité. Il découvre que chez chacun d’entre nous, la vérité a des exigences que l’homme ne connaît pas nécessairement, qu’elle se fraye un chemin malgré tous les obstacles narcissiques que l’homme s’impose ou qu’on lui impose.

Freud avait pointé très tôt le rapport de la vérité et du temps : la vérité prend son temps, elle va son chemin dans la descendance, elle sautera au besoin les générations.

La vérité ça avance comme un bulldozer qui avance très lentement mais qui arrivera, rien ne l’arrêtera. La trouvaille c’est que rien ne puisse l’arrêter.

 

C’est par la voie de la fiction que l’on accède à la vérité. L’Art en est un exemple. Ainsi le « Mentit-vrai » d’Aragon.

 

Mais alors, la vérité à propos de quoi ?

La vérité du sexuel à propos de la jouissance, en rapport avec le corps.

La jouissance sexuelle n’est pas forcément dans le corps. Ainsi les mystiques : même hors corps c’est quand même avec leurs corps qu’ils jouissent.

Articuler la place de la vérité avec le sexuel, c’est là que les choses se compliquent.

Pour Lacan, le sexuel c’est ce qui fait trou dans la vérité pour une raison fondamentale : il n’y a pas de vérité du sexuel. D’où le paradoxe.

Ce qui fait trou dans le symbolique c’est la sexualité, pourquoi ? Parce que la sexualité c’est ce qui ne se laisse appréhender dans aucune définition. Le rapport sexualité/vérité ne peut être une réponse, ça ne peut être qu’une question.

La fin d’une analyse ce n’est pas la réponse mais la formulation de la question. La vérité est ce qui relève de la science, de la philosophie, de la littérature mais jamais du sexuel.

Dans l’acte sexuel, à supposer que « baiser » soit un acte (Lacan en doute !), on peut recommencer indéfiniment. La question à laquelle le sujet se confronte est celle de son identité sexuelle : savoir si dans l’acte sexuel on y est en tant qu’homme ou femme est impossible, cela dépend du partenaire. C’est là un écho à l’irreprésentable du début.

« La vérité ne peut être dite toute » (Lacan). Ce qui fait que la vérité est blessée, c’est que justement il n’y a pas de vérité sexuelle. Contrairement à la théorie du genre, ce n’est pas une réponse au niveau anatomique. L’ensemble des hypothèses sur le genre n’est pas un ensemble de questions mais de réponses. Le genre c’est une promesse de réalisation d’harmonie.

La psychanalyse constate l’incompatibilité entre vérité et sexe. Ailleurs on promet une harmonie de l’identité : «  Ne soyez plus en conflit avec votre inconscient, ça ira mieux ! »

 

La tentation de faire « un », tentation communautaire… On voudrait nous faire croire qu’on y arriverait de façon collective (Eglise, armée). L’Un-tégrisme c’est du provisoire.

Pour la psychanalyse, cela ne tiendra pas. La vérité suit son chemin…

 

Rien de ce qui vient à la place de la vérité dans le discours ne peut être définitivement acquis.

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