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Quelques remarques sur la réglementation de la pratique des psychothérapies

L’usage du titre de psychothérapeute est maintenant régi par le décret paru au J.O. du 22 mai 2010. Il ne s’agit pas seulement d’un titre qu’on exhibera à côté d’une qualification professionnelle actuel-lement en usage, mais d’une nouvelle profession qui coexistera dans le champ de l’offre d’écoute et (ou) de soins avec celles des psychiatres, des psychologues et des psychanalystes. Cette nouvelle profession a été voulue et imposée par le pouvoir politique. Il importe que nous prenions la mesure de cet acte, de ses incidences sur la pratique et la transmission de la psychanalyse. Il se peut, par ailleurs, que des psychanalystes ne puissent travailler en institutions médico-sociales que sous ce titre. Cette situation devrait amener les associations de psychanalystes à penser leur place et leur fonction à l’égard du pouvoir politique et de la Cité en produisant un discours susceptible de faire entendre la singularité de l’acte analytique.

HISTORIQUE

Il convient à titre préliminaire de rappeler la généalogie de ce décret. Elle remonte au début du siècle et a deux origines discernables. L’une émanait d’associations de psychothérapeutes qui invoquaient des précédents européens et l’harmonisation des diplômes entre les pays de la communauté européenne pour demander aux pouvoirs publics de valider leurs formations et faire cesser l’inflation des psychothérapeutes auto-proclamés. L’autre trouve sa source dans les divers rapports qui se sont succédé sur l’organisation de la Santé Mentale. La médicalisation outrancière de la psychiatrie et la pénurie organisée du nombre de psychiatres destinaient ceux-ci, selon ces rapports, à ne plus exercer qu’un rôle de consultant. Les soins étant délégués (le fameux transfert de compétences) au personnel infirmier et à une profession qui n’existait pas encore officiellement, mais dont le nombre de praticiens ne cessait pas de croître dans les annuaires téléphoniques: les psychothérapeutes. Un syndicat de psychiatres qui disposait de relais politiques, et essentiellement mû par des préoccupa-tions concurrentielles, entreprit de faire réglementer l’usage du titre de psychothérapeute. Ce fut le premier amendement Accoyer qui, prenant prétexte de la défense de l’usager devant des dérives sectaires de certaines pratiques dites psychothérapiques, proposait leur réglementation. Comme si la réglementation d’une pratique soignante devrait immuniser contre une telle dérive.
Après diverses péripéties, cette nouvelle profession fut établie par l’article 52 de la loi du 9 avril 2004 dont les décrets d’application viennent de paraître. Ils mettent en évidence l’inspiration médi-cale de cette nouvelle législation dans la mesure où les psychiatres seront de droit psychothérapeutes s’ils le demandent, alors qu’il est notoire, du fait de la médicalisation de leur formation qu’ils n’ont pas d’enseignement et de pratique les formant aux psychothérapies. Les médecins généralistes pourront se dire psychothérapeutes moyennant 200 heures de psychopathologie et d’information sur « les principales approches utilisées en psychothérapie. Cet enseignement théorique s’accompagnant d’un stage clinique de 2 mois. Ceci en dit long sur la consistance des connaissances et de l’expé-rience requise par les pouvoirs publics pour pratiquer la psychothérapie et surtout sur le peu d’im-portance qu’ils semblent attribuer à cet acte. Les psychologues cliniciens voient leur formation dé-valuée puisqu’on leur impose complément d’enseignement et de stage. Par contre tout titulaire d’un master de psychologie non-clinique (travail, criminologie….) pourra prétendre à inscription sur les listes départementales des psychothérapeutes moyennant une formation théorique et un stage à peine plus importants. Les psychanalystes, dans la mesure où ils sont « régulièrement enregistrés dans les annuaires d’associations psychanalytiques », devront satisfaire à un enseignement et à un stage de 2 mois. Pour les professionnels qui ne relèveraient pas de ces catégories, l’enseignement est porté à 400 heures et le stage à 5 mois.
Il n’aura échappé à personne que le législateur se contente d’un enseignement de type universitaire et qu’il ne dit mot sur la formation pourtant indispensable à telle ou telle méthode psychothérapique qui, pour des motifs éthiques, devrait s’appliquer d’abord à tout futur professionnel. Cette omission en dit long sur l’usage envisagé de ce décret. Il est fait pour produire et employer des thérapeutes cognitivo-comportementalistes dont la formation ne comporte précisément rien où leur propre sub-jectivité serait questionnée par leur méthode.
Cette inspiration est lisible aussi dans le chapitre 3, article 11 de ce décret où il est question de l’évaluation des établissements de formation ( certaines associations psychanalytiques se proposent d’en être) puisqu’on sait que ces procédures d’évaluation font partie des critères de vérité des TCC.( cf. l’évaluation INSERM des Psychothérapies que le ministre de la santé d’alors avait finalement retirée du site de son ministère après qu’ait été dénoncé son caractère pseudo-scientifique et tendan-cieux).

LA FRENESIE LEGISLATIVE

La tendance exacerbée à légiférer sur tout est une caractéristique envahissante de notre temps. Elle se justifie par diverses allégations comme la défense de l’usager, la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace européen. Elle repose surtout sur une mutation des valeurs dans la culture occidentale où depuis les dépérissements du théologico-politique et du communisme, le politique semble n’avoir plus d’autres fonctions que de favoriser le nouveau credo de notre temps: le marché. Celui-ci étant paré jusqu’à sa récente crise d’une vertu immanente d’auto-régulation. Ainsi, faute d’une notion de Loi nommant une limite à la jouissance et par là même instituant le désir, as-siste-t-on à une prolifération de lois et règlements toujours insuffisants à contenir l’immixtion de l’objet. Le fonctionnement de cette dérive du lien social requiert le développement d’une nouvelle aristocratie: les gestionnaires (depuis peu plus nombreux dans les structures de soins que les méde-cins) et un clergé: les experts dont la nomination repose avant tout sur la validation prévisible de choix déjà faits.

PSYCHANALYSE, PSYCHOTHERAPIE ET REGLEMENTATION

Concernant notre champ d’activité, certains pays européens nous ont précédés dans la voie de la réglementation et dans le sens, comme en Italie, d’un ravalement de la psychanalyse à une méthode psychothérapique parmi d’autres. Rappelons que dans ce pays la psychanalyse ne peut légalement s’exercer qu’après avoir été qualifié comme psychothérapeute.
En France, le premier projet Accoyer envisageait une disposition semblable. C’est l’implantation de la psychanalyse dans notre pays et les vives réactions des associations psychanalytiques qui ont conduit le législateur à reconnaître une autonomie à la pratique de la psychanalyse et aussi une va-leur formatrice qui devait dispenser ses praticiens de certains des pré-requis pour l’inscription sur les futures listes de psychothérapeutes.
La position des associations psychanalytiques à l’égard de la réglementation des psychothérapies fut diverse et souvent ambigüe.
Certaines ont entendu ce projet comme une intervention abusive de l’Etat dans une activité qui re-levait de l’intime du sujet et à ce titre l’ont combattu.
D’autres, arguant que l’essentiel était acquis puisque la psychanalyse n’était pas assimilée aux psy-chothérapies, ont estimé que ce texte non seulement faisait le « ménage » dans la nébuleuse des psychothérapies mais qu’il permettrait à des analystes ni médecins, ni psychologues de travailler dans les institutions médico-sociales.
D’autres encore se sont portées candidates auprès de pouvoirs publics pour former les futurs psy-chothérapeutes.
Certaines associations ont pratiqué une fréquentation assidue des anti-chambres ministérielles, pen-sant ainsi tirer profit de leur collaboration à l’institution de cette nouvelle profession.

UN MARCHE DE DUPES

Ceux qui pensaient pouvoir orienter ce projet de décret dans un sens favorable à la psychanalyse doivent constater aujourd’hui leur échec. Puisque ce décret, in fine, va surtout favoriser la mise sur le marché de thérapeutes cognitivo-comportementalistes dont la formation psycho-pathologique est bâclée. Certains responsables du ministère de la santé ont obtenu une certaine connivence du groupe dit « de contact » en laissant croire que les associations psychanalytiques auraient une place de choix dans le nouveau dispositif. Non seulement ça n’est pas le cas, mais qui plus est, si elles voudront participer à la formation psycho-pathologique des futurs psychothérapeutes, elles devront soumettre leurs projets à une évaluation par des organismes tiers. Ainsi, une certaine manière de transmettre la psychanalyse risque fort de nécessiter l’aval de structures universitaires qui pour la plus part seront d’inspiration cognitiviste. Car on sait que ce courant fait des procédures d’évaluation et « d’expertise » le critère de vérité de sa conception du fonctionnement psychique et qu’il se propose constamment d’évaluer les autres psychothérapies (cf. Rapport INSERM)
Ainsi apparait pour la première fois dans un décret une récusation des positions freudiennes sur la Laïenanalyse selon lesquelles la transmission de la psychanalyse ne pouvait être subordonnée à l’université ou à un ordre professionnel. Tout aussi problématique est la référence à « un enregis-trement régulier dans un annuaire d’association de psychanalystes ».
On aurait tort de ne voir dans ces formulations qu’un langage propre aux nécessités administratives. Si certains pensaient éviter la confusion entre transmission de la psychanalyse et enseignement uni-versitaire, elle apparaît dans les procédures d’agrément des enseignements qui évalueront les projets de formation proposés par les associations psychanalytiques. D’autre part l’Etat reconnaît l’enregis-trement dans un annuaire d’association de psychanalystes comme une nomination au titre de psy-chanalyste, premier pas avant qu’en soit exigé les justifications.
Ceci préfigure ce qui ne manquera pas d’arriver: une prochaine réglementation à l’usage du titre de psychanalyste. La défense de l’usager sera à nouveau invoquée, le fait aussi que de nombreuses as-sociations de psychothérapeutes ont ajouté à leur intitulé: « et psychanalyse ». Quand un journaliste faisait remarquer à Mr Accoyer que son initiative serait contournée du fait de ce rajout; il y répondit qu’il souhaitait que les associations de psychanalystes ne mettent pas autant de temps que lui (7ans entre le 1er amendement et le décret d’application) pour proposer une réglementation de l’usage du titre de psychanalyste. C’est bien ainsi que la suite peut s’envisager. L’engouement à se précipiter dans les anti-chambres ministérielles ne peut être réduite à de la naïveté politique quand bien même fût-on berné. Le ressort essentiel relève d’une logique du pouvoir, de ses prébendes et d’une politique d’association de psychanalystes qui se réduirait à cet horizon en entérinant de fait une psychanalyse d’Etat.

DES ASSOCIATIONS POUR LA PSYCHANALYSE

Il appartient aux associations qui ne se réduisent pas à des corporations se partageant le marché de la souffrance psychique de faire valoir l’orientation soutenue par Freud en 1926 dans son texte sur la Laïenanalyse. Il nous rappelle dans ce texte que toute intervention d’un tiers surplombant l’expé-rience psychanalytique en dénaturerait l’objet car elle interférerait et rendrait impossible l’analyse de la névrose de transfert. Celle-ci est le propre de l’acte psychanalytique en tant qu’il est dépassement de la suggestion sur quoi repose l’efficience des psychothérapies.
Doit-on pour autant soutenir la notion d’une extraterritorialité radicale de la psychanalyse par rap-port à la Cité et à d’autres savoirs?
Concernant les savoirs, Freud comme Lacan n’ont eu de cesse de penser la psychanalyse en s’ap-puyant sur des savoirs autres (mythologie, physique, littérature, linguistique, topologie…). Mais chaque fois en en faisant un usage spécifique à l’objet de la psychanalyse. Comme s’ils devenaient alors des éléments de figurations analogues à ceux opérant dans la constitution du rêve qui serait le paradigme d’une pensée théorigène. A ce titre, il n’y a pas d’extraterritorialité de la psychanalyse par rapport aux savoirs ambiants, mais elle peut en faire un usage singulier qui n’est pas une inféodation. C’est ainsi que Lacan a pu parler de linguisterie pour évoquer l’importation de concepts de la linguistique en psychanalyse.
En ce qui concerne l’extraterritorialité de la psychanalyse par rapport à la Cité et aux passions qui l’agitent, l’histoire du XXème siècle aussi bien en Europe qu’en Amérique latine et là pour nous rappeler que si les psychanalystes avaient pu y croire, le réveil a été chaque fois tragique. Sur un mode plus bénin, l’intervention du politique dans le champ de la psychanalyse vient de nous être rappelé par ce décret, qui comme nous l’avons évoqué aura tôt ou tard des incidences sur la pratique des psychanalystes.
Comme l’avait remarqué Hannah Arendt dans des circonstances beaucoup plus tragiques, les ba-tailles se perdent d’abord sur le plan des idées. En d’autres termes, c’est par le discours sur les condi-tions propres à la transmission de la psychanalyse que nous pourrons faire entendre dans la Cité que la formation du psychanalyste ne peut se réduire à un enseignement universitaire. L’aptitude à en-tendre ce qui des formations de l’inconscient noue un symptôme passe par la confrontation pour chaque analyste à ses propres formations de l’inconscient. Celles-ci ne peuvent s’entendre que par l’expérience de la cure de l’analyste potentiel. C’est en cela que la psychanalyse est foncièrement haït par le cognitivisme, car elle met en question la subjectivité et le désir du praticien dans son acte, alors que le thérapeute cognitiviste prétend à une maitrise possible du symptôme par un savoir prescrit. La psychanalyse ne cesse pas de rappeler que le savoir qui prend part au symptôme est un savoir qui nous échappe et se révèle quand nous parlons à un Autre, comme nos lapsus et actes manqués nous le rappellent.
La cure psychanalytique, si elle est nécessaire à la pratique de l’analyse, est-elle suffisante pour la formation du psychanalyste? La plupart des associations psychanalytiques y ont associé un travail théorique sur les concepts de la psychanalyse et une pratique de cures supervisées. Mais ce consen-sus sur la transmission de la psychanalyse relève encore d’une formation. Il ne dit rien du désir sin-gulier d’un analysant à occuper la place où opère la fonction analyste. C’est pour entendre ce mo-ment crucial pour le devenir de cette fonction pour chaque analyste que Lacan avait conçu le dispo-sitif de la Passe. Celui-ci est repris par un certain nombre d’associations avec des variantes que nous ne détaillerons pas ici, mais qui dénotent une recherche en cours. Car c’est peut-être cela le plus important, c’est que la notion de passe demeure pour chaque analyste une dimension insistante à l’œuvre dans sa pratique et dans un transfert de travail à ses collègues. C’est la vocation des associa-tions pour la psychanalyse d’en être le lieu par des dispositifs appropriés. Elles pourront peut-être faire entendre à la Cité qu’on ne peut revendiquer un titre de psychanalyste ni l’attribuer mais que leurs membres sont engagés pour occuper cette place par une éthique relevant des lois de la parole et du langage.

Albert Maître (octobre 2010)

Les textes des lois et décrets sont disponibles sur le site du J.O.: legifrance.gouv.fr
On peut lire avec intérêt deux publications récentes:
     »Des psychothérapeutes d’ Etat à l’Etat thérapeute de Marie-Noël GODET, l’Harmattan.
     »Manifeste pour la psychanalyse. Editions La fabrique.

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