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Qui pour me soulager de mon acte ? De la place de l’homme à l’embryon.

par Annie Ascher – Texte présenté aux journées de Mars 2011 –

version .doc téléchargeable : De la place de l’homme à l’embryon A.Ascher

Résumé:

En 1987 un groupe de soignants du C.H.R.U. de Lille ,désorientés par  les progrès récents de la technoscience médicale s’interroge sur les effets de la P.M.A.
Bien que la femme ait une place prédominante lors de ce parcours éprouvant ,ce groupe questionne la place de l’homme et/ou du père lors de cette procréation hors sexe.Emerge la question :qu’est-ce que la guérison en matière de stérilité?
Le médecin est ,de plus en plus,mis en demeure de traiter des malades en tentant de les guérir, ou plutôt ,hélas, de rectifier ce qui fait défaut.Cette dernière démarche est sous-tendue par l’illusion de la toute-puissance thérapeutique démentie par la rencontre avec la catégorie de  l’impossible.pointe alors la différence structurelle entre le symptôme conçu par la médecine et le symptôme psychanalytique, voire le sinthome .
Enfin serait-il encore possible  en 2012 d’animer un tel groupe  en milieu hospitalier en proposant une réflexion interrogative se référant à l’Inconscient freudien?

Le thème que je me propose d’aborder est un ensemble de réflexions sur le suivi d’un groupe de médecins et soignants s’interrogeant sur les Procréations Médicalement Assistées. Dans ce domaine, les progrès technico scientifiques ont été importants et surtout très médiatisés. Pourquoi ?

Parce qu’ils touchent :

– à la transmission de la vie
– à  » la vielamort « .
– au désir
– au sexe et à la mort
– à la filiation
– à l’ambivalence du désir d’enfant

D’où l’exergue choisi de Winnicott, extrait de :  » La Haine dans le contre-transfert : De la pédiatrie à la psychanalyse ».

« Je crois que Freud pensait qu’il était possible qu’une mère puisse n’avoir, dans certaines circonstances que de l’amour pour son petit garçon, mais on peut en douter…  »

Ces réflexions pourraient être complétées par : « Toutefois la mère hait son fœtus dès le début « .

Introduction

Les circonstances qui m’ont amenée à travailler avec les médecins à l’hôpital.

Dans une des deux maternités du CHRU de Lille, j’ai succédé en 1979 à une psychiatre-psychanalyste qui calquait sa manière de procéder sur celle d’un psychanalyste installé en cabinet privé : elle attendait des médecins qu’ils viennent frapper à sa porte pour parler des problèmes qu’ils rencontraient. Ceux-ci ne sont jamais venus…

Exercer une fonction psychanalytique à l’hôpital demande de la créativité et une certaine souplesse. C’est se faire entendre autrement en essayant de pouvoir prendre en considération le savoir inconscient des soignants et des patients. C’est aussi rencontrer des patients qui ne viendraient jamais consulter dans un cabinet.

Progressivement, j’ai pris une place auprès des soignants, une place décalée. Ma présence bienveillante leur permettait de s’exprimer librement. J’étais présente au rapport le matin, je circulais dans les services. Le samedi avait lieu un symposium où l’on évoquait les cas difficiles de la semaine. Dans ces réunions où il était toujours question de vie et de mort, je ressentais souvent beaucoup d’angoisse, parfois camouflée par une attitude défensive (grosses rigolades,  agressivité envers le patron).

Il s’agissait d’écouter l’inquiétude des soignants parfois démunis devant la violence plus ou moins transgressive de certaines pratiques.

Depuis 1984, les premières PMA suscitaient pas mal de questionnements, de rivalités et de divergences chez les médecins concernés par ces techniques. Est-ce qu’on ne répondait pas trop vite à une demande d’enfant à tout prix ou à n’importe quel prix alors que le succès d’une FIV était paradoxalement suivi d’une demande d’IVG ?

Comment devait-on comprendre ou entendre une demande d’interruption médicale de grossesse à sept mois pour agénésie d’un pied, et ce après une FIV ? Le bébé n’était pas parfait. Il ne sera pas footballeur avait dit le « futur père ». La demande folle de ce couple a été refusée, mais un profond malaise a été ressenti :  » on va trop vite ».   » Ces parents veulent tuer un enfant ».

Ce couple a refusé de me rencontrer. Madame X a vu l’assistante sociale et fait une demande d’accouchement sous X. Pour ses parents, il s’agissait vraiment d’un meurtre d’enfant puisqu’après l’accouchement Monsieur X annonce à la famille que l’enfant est mort. Aucun retour en arrière n’est possible.

Quatre mois après, Madame X me consulte : elle divorce.

L’enfant ne sera pas footballeur ! Cette castration est insupportable pour les parents. Quel lien peut-on faire entre la volonté d’enfant à tout prix et le possible désir de mort ou l’absence de transmission de la vie ? Les parents ont dit qu’il était mort pour justifier son absence.

Ces deux grossesses qui avaient été un succès pour le gynécologue, auraient dû être précieuses pour le couple et sont ressenties comme un échec par l’équipe.

Une autre question des surveillantes sages-femmes : comment accueillir les mères porteuses ?

Le renoncement à l’enfant de ces femmes était intolérable. Qu’en était-il de la communication intrapsychique entre la mère et son fœtus alors qu’elle devait l’abandonner à la naissance pour une autre femme ?

Ces sages femmes servaient d’intermédiaire entre la mère porteuse et les clients (on dit maintenant la « mère d’intention »).

Lors de la transaction, elles devaient apposer leur signature et leur nom sur un imprimé signifiant qu’elles étaient témoins de cet acte. Pour une des petites filles, nous avons eu une suite puisque, dix-sept ans après, elle s’est enfuie de chez ses parents et a retrouvé la sage-femme témoin de cette transaction. Elle voulait retrouver la « mère » qui l’avait portée.

Ce cas de mère porteuse et de fille à la recherche de sa mère pourrait-il nous évoquer la tragédie de Sophocle ? Œdipe, enfant abandonné, menacé de mort par ses parents, sauvé, adopté, adolescent se mettant en route pour enquêter sur son origine.

En 1987, nous avons organisé un grand colloque sur le « Désir d’enfant ».

A la suite de ce colloque, plusieurs gynécologues obstétriciens des services de maternités différentes, désorientés par les nouveaux progrès de la techno science médicale, sont venus me demander un groupe de réflexion.

Nous nous sommes réunis en 1989 dans le service de la Maternité où je travaillais les premiers mardis du mois de 21H à 23H. Y participaient des gynécologues faisant des PMA, des obstétriciens, des sages femmes, infirmières, pédiatres, psychologues, la directrice du CECOS, deux assistantes sociales, ces personnes venant de différents hôpitaux. J’avais demandé à une collègue psychanalyste dans une maternité d’animer ce groupe avec moi.

Je vais essayer de relater les propos et interrogations de ce groupe qui me sont apparus les plus pertinents. J’en ferai aussi les commentaires. Je dois dire que ce groupe s’est rapidement exprimé, le plus librement possible.  Les participants ne paraissaient pas trop s’angoisser devant une ébauche de pensées associatives débouchant sur l’expression de certains fantasmes.

J’intitulerai le premier propos de notre groupe :

I  – Malaise en gynécologie

Place de l’homme dans les Procréations Médicalement Assistées.

Bien que la femme ait une place prédominante lors de ce douloureux et éprouvant parcours de FIV, les membres du groupe ont exprimé le désir d’approfondir la question et de l’homme et du père dans la PMA. Est-ce un hasard si les gynécologues ont choisi de traiter ce sujet alors que la dénomination « Procréation Médicalement Assistée » (on pourrait dire « insistée« ) mettait l’accent sur l’acte même de la procréation médicale ? Les gynécologues ne pouvaient-ils pas avoir le sentiment d’être chargés de cette tâche : procréer ?

Ce terme a d’ailleurs changé en 1994 après la loi de Bioéthique sur l’inviolabilité du corps humain. Selon un décret de 1995, La Procréation Médicalement Assistée est devenue Assistance Médicale à la Procréation « car seule l’Assistance Médicale et non la procréation peut faire l’objet d’une législation ». De la première place, le P de procréation prend la dernière.

Une première phrase d’un mari est amenée par un des membres du groupe : « Ma femme n’est plus à moi, elle est au corps médical ».

Les gynécologues – qu’ils soient hommes ou femmes –  s’inquiètent : ils pensent que les hommes se retrouvent au second plan et sont les parents pauvres. Ils sont dépossédés de leur pouvoir fécondant.

Une question se pose à laquelle nous allons travailler :

– Quelle place donner à l’homme ou au père pendant cette période de procréation hors sexe ?

Le groupe va osciller constamment entre ces deux mots : homme ou père. Comment comprendre cette ambigüité de la dénomination ?

Nous pouvons penser que ces techniques modernes amènent explicitement à réfléchir sur la distinction entre géniteur et père alors que, jusque là, dans notre culture occidentale, il y avait une condensation entre la figure du père et la figure du procréateur, porteur de la moitié du patrimoine génétique de l’enfant à venir.

Les effets de ces progrès techniques scientifiques touchant à la reproduction humaine ne ramènent-ils pas, à leur manière, à la double question centrale :

– Qu’est-ce qu’un père ?
– Que veut la femme ?

Les membres du groupe pensent donc que le gynécologue tiendrait la première place. Le gynécologue doit se substituer au rôle défaillant du couple. Il prend des initiatives, programme des relations sexuelles, pénètre dans l’intimité du couple et de la femme. C’est l’amour sur ordonnance. Cette méthode contraignante est anti-désir, pour la femme et pour l’homme.

Si la femme est au cœur de cette technique, l’homme de cette femme serait-il réduit à la plus grande discrétion, à la passivité. Il suffit de paillettes congelées pour faire un enfant.

Comment comprendre cette phrase amenée par un médecin alors que son patient venait de recueillir son sperme après une masturbation sur ordonnance ?

« Ce qui me fera père, c’est que j’aurai beaucoup souffert », dit ce dernier.

Ne se pose-t-il pas indirectement la question : « qu’est-ce qu’un père ? « , alors qu’il se sent confondu avec le géniteur réduit à son pénis, ses testicules et ses spermatozoïdes.

Il doit se soumettre et admettre que sa femme soit palpée, sondée, explorée, pénétrée.

Les mystères autrefois insondables du corps de la femme apparaissent « mis à nus » et nous renvoient en pleine figure ce Réel parfois difficile à admettre pour beaucoup d’être humains : nous sommes nés du ventre maternel par la voie naturelle de son sexe.

Pour les gynécologues hommes, les examens pratiqués sur l’homme sont souvent très difficiles. Celui-ci apparaît intouchable, examinable seulement sous l’angle de l’urologie, c’est-à-dire désexualisé (leur faut-il méconnaître la discipline andrologie ?).

Tout se passe comme si la stérilité de l’homme était indicible et devait rester secrète. Ce serait un symptôme honteux (montrer quelque chose qui doit rester caché) que la femme s’évertue sans cesse à camoufler. Il serait plus difficile de révéler une stérilité à un homme, porteur, selon les dires de certains, d’un handicap.

L’infertilité serait-elle plus culpabilisante pour l’homme ? Certaines personnes dans le groupe pensent que lui est posée la question de la rupture de la lignée masculine, d’un sacrifice de la descendance, du nom.  Certains hommes seraient amenés à regretter l’anonymat et la gratuité du don de sperme. Spontanément, ils aimeraient que l’on utilise le spermatozoïde de leur clan.

Quelques personnes se demandent :

–       Pourquoi le discours médical et légal insiste-t-il tant sur la gratuité et l’anonymat du don ?
–       Quel sera le prix et le poids de cette dette ?

Quant à moi, je me demande s’il peut y avoir un lien entre le désir de « restaurer » du père et l’anonymat associé à la gratuité du don de sperme.

La défaillance relative du signifiant « père » dans le corps social serait-elle compensée par la place qu’occupe le spécialiste, l’expert (l’ex-père) ?

– Voudrait-on nous faire croire qu’un enfant se fait avec le spécialiste ?, dit quelqu’un.

Il ajoute :  » le secret sur l’infertilité est du côté des hommes. Un don d’ovocyte ne se cache pas. Un don de sperme : oui »

Nous évoquons le cas clinique d’un homme s’étant mis à bégayer une fois devenu père, après une insémination avec donneur.

De nombreux facteurs échappent quant au spermogramme de l’homme, reflet de son infécondité.

Un gynécologue évoque un prochain colloque organisé par l’Association des Gynécologues et Vétérinaires. Le thème est le suivant : « La fécondité du mâle « .

L’homme serait-il réduit à la fonction de reproduction, à l’animalité ?

Une gynécologue nous signale que quelques femmes en cours de protocole d’insémination avec donneur anonyme ou en cours de FIV s’autorisent à avoir des relations extra-conjugales, montrant ainsi la difficulté d’accepter l’idée de conception hors sexe.

Une question se pose :

Le protocole médical mettrait-il en jeu une forme de conception adultérine tout en protégeant de l’illégitimité ? L’origine du succès de la fécondation demeurera ainsi incertaine. Ne serait-ce pas une façon de réintroduire clandestinement « Pater semper incertus » ?

II  – Réimplantation de l’embryon

De longues séances sont consacrées à la réimplantation de l’embryon après la conception « à ciel ouvert ».

Un des médecins pose la question : « Lors de cet acte de la réimplantation, serions-nous à une place usurpée ? « .

« Avec la PMA, l’enfant ne vient plus de l’énigme du corps féminin, de l’énigme du corps amoureux », souligne une sage femme.

Pour cette sage femme, « les médecins touchent au sacré, c’est-à-dire à la reproduction humaine, jusqu’alors soumise aux règles de l’amour, du désir, de l’alliance, ne quittant pas la chambre à coucher ».

Ils touchent donc littéralement l’intouchable. Ne commettent-ils pas à la limite un sacrilège ?

« Comment le gynécologue vit-il cet acte ? « , se demande-t-elle.

Les femmes gynécologues expriment leurs difficultés et leur gêne à faire une échographie vaginale : « on est au cœur de la sexualité ». « De femme à femme, qu’est-ce qui se passe ? « . « Ce n’est pas évident d’aller regarder à l’intérieur de la patiente « .

Dans le groupe apparaît quelque chose de l’Interdit (inter-dit entre elles deux), voir à l’intérieur de la mère.  Peut-on parler d’inceste mère-fille ?

La technoscience actuelle peut mettre en acte des fantasmes, mettre en scène le mystère de la transmission de la vie sur la scène du corps d’une femme.

Elle permet de voir ce qui autrefois n’était une représentation mentale : la science-fiction devient réalité.

Le groupe s’imagine la rencontre d’un ovocyte et d’un spermatozoïde dans une éprouvette, une rencontre ne devant rien aux aléas du désir. Si tout se passe bien, ils formeront des embryons.

Quelques jours après, les embryons sont réimplantés avec une infinie précaution.

Dans la pièce, le biologiste amène la vie, le gynécologue met la vie. Tout apparaît magique, étrangement inquiétant. Quelque chose de l’intime prévaut curieusement.

Est-ce de l’ordre de l’intime ou de l’interdit ? Un fantasme circule dans le groupe : c’est magique, une messe noire.

Rappelons que la messe noire, à dimension sacrilège, se déroule sur l’autel du corps d’une femme nue.

Un sentiment d’inquiétante étrangeté règne ou peut-être pourrait-on mieux dire, d’étrange familier, une impression de malaise teinté aussi de fascination : tout ce qui devait rester dans l’ombre apparaît en pleine lumière.

A ce côté magique se mêle une scène hyperréaliste. Cette inquiétante étrangeté ne vient-elle pas à la fois de ce mélange de mystère et d’hyperréalisme, d’intrication de l’intime, du hors sexe et aussi de l’aspect exhibitionniste ?

Voilà les questions qui me paraissent être proposées.

L’illusion magique ne continuerait-elle pas lorsque le ventre désespérément vide de la femme se trouve soudainement rempli de 2, 3, 4 embryons.

Grâce à l’aide de la technoscience, il appartient à ces patientes de pouvoir symboliser et « imaginariser » ce réel de l’embryon implanté en elles.

De mon point de vue, la psychanalyse n’a rien à dire à la place de la science. Il faut faire confiance à l’homme pour qu’il réactive une pensée à partir d’un fantasme. L’analyste n’a pas à donner son avis mais à faire en sorte que le chemin parcouru par l’élaboration de la pensée prenne la mesure de l’acte que constitue le fait de demander un enfant par des voies ne passant plus par des relations sexuelles.

III  – La toute puissance médicale est une illusion

Nous revenons souvent à cette infécondité devenue actuellement insupportable, impossible, comme si la maîtrise de la fécondité, réalisée depuis 30 ans était le point fragile, le point de rupture où l’exigence de la toute puissance surgit.

Pour les femmes stériles de la Bible, Dieu exerçait sa toute puissance en leur donnant un enfant. Quelqu’un ajoute, d’une manière théologiquement discutable : « Le tout puissant, Dieu, a le droit à l’erreur, maintenant plus la médecine ».

Un médecin fait référence à une gitane qui vient d’avoir un enfant anormal. Cette gitane dit : « Dieu me l’a envoyé comme cela, je l’aime comme cela ».

Quelqu’un d’autre ajoute : « Maintenant la problématique des médecins vise à éliminer l’erreur. La recherche et les résultats sont de plus en plus performants en génétique. Nous, nous avons de moins en moins droit à l’erreur.  La position du psychanalyste, a contrario, est de faire en sorte que l’erreur puisse être exploitée ».

Le droit à l’erreur est en effet la condition nécessaire pour pouvoir penser, désirer, entreprendre, créer.

Et certains membres du groupe d’ajouter :

« Nous sommes dans la toute puissance. Le poids de la FIV est lourd dans beaucoup de domaines. La programmation est de plus en plus importante.  Elle pourrait mener à l’enfant parfait« . 

La technoscience éblouit l’homme. Elle s’inscrit dans un mouvement de lutte contre l’incertitude. Elle peut tout faire.

Me vient à l’esprit cette phrase de Maïamonid, médecin, philosophe, Talmudiste de Cordoue, auteur du livre bien nommé, Le Guide des Egarés :

« Ô Dieu, éloigne de moi l’idée que je peux tout ».

N’y aurait-il pas, si nous n’y prenions garde, une croyance en la quête d’un savoir médical qui percerait les mystères de la fécondité et de la stérilité ?

Peut-être l’homme arriverait-il à contourner l’énigme béante du sexe de la femme grâce à la croyance scientiste en la déesse science.

Un jour viendra où l’homme n’aura plus à assumer de pertes puisqu’il pourra avoir tout, ainsi l’être humain pourra être sans limites, aller vers la démesure, la castration et ses effets abolis. Est-ce cette démesure, appelée « hybris » par les Grecs, qui fait dire à l’un d’entre nous avec humour : « on a le pouvoir, c’est nous Dieu ».

Cette phrase est d’ailleurs entendue par un nouveau venu : « on est odieux !… ». « On est haïssable à cause de notre pouvoir démesuré ».

Et les membres du groupe d’associer sur cet odieux pouvoir : « Fermer un dossier, c’est aussi difficile que d’annoncer une mort, c’est admettre l’échec de la patiente, accepter notre échec et notre impuissance. Fermer un dossier, c’est mettre une limite, c’est admettre qu’on ne peut pas tout, c’est dire à un patient qu’il ne peut pas donner la vie, qu’il n’aura pas de prolongement au-delà de lui-même ».

L’homme oscillant entre les mythes de Promothée, de Faust et de Frankenstein (cf. Dominique Lecourt) tend à dépasser son humaine condition et ne semble pas plus heureux. Mais peut-on guérir de la maladie humaine, comme le demande Ferdinando Camon ?

IV  – Le désir de la médecine triomphante

– Le bébé éprouvette médiatisé fonctionne comme un appel d’offre.

Un des participants parle d’un livre de René Frydman : L’Irrésistible Désir de Naissance.

Il nous cite cette phrase : « dans les pays développés, nous sommes entrés dans la médecine du bien-être, dans la médecine du désir« .

Peut-on médicaliser le désir ? Qu’en est-il du désir des patientes qui se lancent à corps perdu dans tous les protocoles ?

Une sage femme souligne que la demande des femmes et des couples est induite et suggérée par l’offre de service qui est faite. « Serions-nous entrés dans une logique marchande ? « , dit-elle.

C’est ainsi que nous avons eu le souhait d’inviter Jean-Pierre Winter, venu nous faire une conférence dont le thème était le suivant :

« Au-delà de la demande : le désir ».

Je vais essayer de résumer le propos de Jean-Pierre Winter.

La question du désir d’enfant est aussi vieille que l’humanité. Jean-Pierre Winter évoque les conceptions divinement assistées, ce que l’on a perdu au change, ce que l’on a gagné. Il nous parle des héros nés de couples stériles, de Sarah, hors d’âge pour avoir des enfants.

Evidemment la demande est prise en considération de l’offre. Lorsqu’il y a une offre scientifique, il y a une abondance de demandes. Qu’en est-il du désir humain ?

Le désir humain, c’est le désir de l’Autre.

La question du désir du sujet n’est pas séparable du désir de cet Autre.

Dieu a un désir, un jour cette promesse se réalise. Qu’en est-il du désir de celui qui prescrit une FIV, est-ce qu’il peut soutenir qu’il n’y est pour rien ?

Le sujet désirant est celui d’un désir inconnu. Le désir est chiffré dans le symptôme…

Ce que le désir attend, c’est d’être entendu, reconnu.

Le désir d’enfant n’est pas seulement celui d’avoir un enfant réel.

Quel est le désir qui va mettre fin à la stérilité ? Le désir du médecin, il ne peut en être exonéré.

– A méconnaître le désir le médecin ne joue-t-il pas avec le feu (tel Prométhée), tant pour ses patients que pour lui-même ?
– Peut-on implanter un embryon sans en être psychiquement affecté ?

Donner la vie est inséparable de donner la mort.

Certaines femmes refusent de mettre au monde un être promis à la mort. C’est le prix à payer pour donner la vie.

La réponse positive à la demande, avant qu’elle ne soit élucidée, ne risque-t-elle pas d’induire un déplacement symptomatique ?

La persistance et l’insistance du désir ne cherchera-t-elle pas à se faire entendre ailleurs : dans le corps ou la conduite par exemple de l’enfant à venir ?

La venue de Jean-Pierre Winter suscite de nombreux commentaires dans le groupe. Je retiendrai deux questions :

– Qu’est-ce que la guérison en matière de stérilité ?
– Est-ce aller mieux et moins souffrir de ce malheur ou avoir un enfant qu’on ne supporte pas ?

Cette interrogation pose effectivement la question de la définition de la guérison à l’heure actuelle : accepter un manque ou exiger la levée d’un symptôme à tout prix.

Le groupe se termine par une autre question :

Est-ce vraiment licite de faire une FIV pour faire le deuil de la fécondité ? On pourrait dire mettre en scène de manière stérile un semblant de FIV à visée psychothérapeutique pour la femme afin qu’elle accepte l’existence de l’impossible

V  – L’embryon à l’hôpital Mère-Enfant

En maternité, nous avions réfléchi à la place et sur le statut de l’homme et du père dans la Procréation Médicalement Assistée.

A l’hôpital Mère-Enfant qui vient de se créer, curieusement nous nous penchons sur la place de l’embryon dans l’Assistance Médicale à la Procréation.

Les participants ne sont plus tout à fait les mêmes. Ceux de la Faculté Catholique ne viennent plus. La co-animatrice ne travaille plus en maternité.

La réimplantation de l’embryon fait poser beaucoup de questions à tel point qu’il est presque personnifié. On lui donne un grand nombre de qualificatifs : beau, joufflu…

Une grave question se pose dans le groupe :

– Quel est le devenir des embryons humains ?

La législation parle de : « Produits du corps humain », terme difficile à admettre. Est-ce un produit comme un autre ? Non pas du corps humain mais de deux corps humains ?

Peut-on définir l’humanité à partir de ces amas cellulaires ?

Qu’est-ce que l’humain à l’origine ? Et à partir de quand commence l’humanité ?

Comment définir l’humanité de l’animal homme ?

La loi sur l’IVG autorisant cette dernière jusque 12 semaines semble sous-entendre, qu’en deçà de ce délai, il n’y avait pas de « personne humaine », sinon on serait dans le meurtre.

Mais la loi de l’Eglise, elle, considère qu’il y a existence humaine dès la conception.

Pour Regis Debray, dans son dernier livre Jeunesse du Sacré, « une chose est un objet de droit, une personne un sujet de droit ».

« Le cadavre et le fœtus (deux mois après la conception) ne sont plus et pas encore une personne (l’avortement  n’est pas un homicide, mais ce ne sont pas non plus des choses) « .

« Peut-être est-ce entre une chose et une personne la même chose pour le fœtus jusqu’à deux mois ».

« … à quel moment commence le processus d’individuation (14 jours pour certains catholiques, 40 pour le juif et le musulman), mais qu’on soit croyant ou athée, personne ne conteste qu’il y a dans cette petite chose vivante plus qu’un objet : un être potentiel qui ne se jette pas à la poubelle et passez muscade. Le plus vulnérable appelle une protection renforcée de sa fragilité même »…

« Il n’est pas, puis-je dire, sujet de droit mais plus qu’un objet de droit ».

Les progrès de la technoscience médicale contraignent le personnel médical à envisager des questions à la jonction de la philosophie, du droit, de la psychanalyse et de l’éthique. Il s’agit de traiter de manière laïque des questions qui étaient traitées par les discours religieux.

A travers tout ce discours, on voit bien que toutes les questions qui surgissent touchent non seulement à l’humanité en soi.  Elles soulèvent aussi l’interrogation : comment l’humanité va-t-elle se « débrouiller » avec ces possibilités extraordinaires de la bio-technoscience médicale post-moderne.

Ainsi, Hannah Arendt, dans Conditions de l’Homme Moderne, écrit : « Nous sommes en train d’accomplir des choses que tous les âges ont considéré comme la prérogative de l’action divine ». (Cf. Les procréations divinement assistées dont parle Jean-Pierre Winter).

Une juriste souligne l’aspect contractuel entre le couple et les agents de la médecine quant au devenir des embryons non implantés.

Ainsi des couples éprouvent de l’angoisse quant au devenir des embryons surnuméraires : ces embryons ne devront-ils être détruits, remis à la science pour la recherche ou confiés à des couples désireux de devenir parents au prix d’un don anonyme ou d’une transaction financière ? Ainsi de jeunes étudiantes espagnoles vendent leurs ovocytes.

Nous sommes amenés à penser que dans l’Assistance Médicale à la Procréation, l’objet de la maîtrise n’est plus seulement l’acte sexuel ni le fonctionnement du corps mais la manipulation des produits issus de ceux-ci, isolés et prélevés.

A mon avis, il est important d’avoir toujours à l’esprit qu’il s’agit d’un matériau issu de l’humain, de réfléchir aux questionnements sur l’actuelle définition de l’humain lorsque les soubassements de la parenté et de la généalogie sont bousculés par les avancées technoscientifiques. Ces avancées technoscientifiques questionnant ce qui, jusqu’à nos jours, était considéré comme immuable, posent, de manière peut-être nouvelle, la question de la relation à l’ordre symbolique supposé spécifier l’humain.

Ces techniques fascinantes prennent actuellement une très grande importance. Cependant ne peuvent-elles entraîner des dérives : dévoyer l’embryon de son destin « naturel » ou créer, sans référence parentale aucune, des êtres engendrés par une pure technique comme le clonage.

Toutes ces questions sur l’embryon amènent les obstétriciens du service de Médecine Fœtale et les gynécologues à aborder le problème de la réduction embryonnaire.

Une question grave est posée : quand on connaît la lourdeur de la FIV, peut-on, sous couvert de diminuer ses taux d’échec, se donner le droit :

– d’expérimenter sur l’embryon.
– d’implanter plusieurs embryons à la fois pour que l’un au moins se développe.
– de prendre le risque de naissances multiples.
– de proposer l’interruption sélective de grossesse.

Les obstétriciens en effet se sentent utilisés par les gynécologues lorsqu’ils doivent réduire le trop plein d’embryons implantés par ceux-ci. Ils se considèrent comme les exécutants des basses œuvres et se voient instrumentalisés.

La question du groupe et en particulier des sages femmes est : « comment a-t-on pu en arriver là ? Pourquoi prend-on le risque d’une grossesse multiple ?  »  Comment peut-on arriver à ce geste de réduction embryonnaire appelé aussi : « Interruption Sélective de Grossesse ».

Le groupe s’anime et exprime beaucoup de doutes et de révolte.

En effet, jusqu’en 1981, la réduction embryonnaire n’était qu’une indication de « vie et de mort » lors des grossesses multiples lorsqu’il y avait cinq ou six embryons après des traitements inducteurs d’ovulation. Maintenant, on en arrive à des indications de l’ordre et de « la qualité de vie et du bien-être ».

« Interruption Sélective de Grossesse ». Ce mot « sélection » peut mettre certains d’entre nous mal à l’aise, eu égard à ses résonnances historiques, et à sa référence au darwinisme social.

Nous avons d’un côté :

–       les gynécologues suivant les couples en infertilité ayant pris ce risque.
–       De l’autre, les obstétriciens exprimant souvent leur incompréhension, leur colère, leur difficultés à suivre ces grossesses difficiles débouchant parfois sur

ce  » ce geste à commettre « .

Un ou deux embryons doivent se sacrifier pour que les autres vivent.

Une photo de deux enfants nés après réduction embryonnaire a été reçue : les enfants sont placés aux extrémités d’un canapé. Ils encadrent un ours noir de la même taille qu’eux.

« Commettre ce geste ». « Commettre quoi ? Une des sages femmes évoque un des dix commandements : « Tu ne tueras point ».

« On tue un embryon ». Je remarque un télescopage, une confusion imaginaire entre : « on sélectionne un embryon » et « on tue un enfant », fantasme fondamental repéré par Serge Leclaire dans son ouvrage éponyme.

C’est ainsi que la réunion se termine évoquant le profond malaise du personnel de médecine fœtale.

Nous pouvons nous demander à qui et à quoi renvoient le grand trouble et la grande perplexité éprouvés par ces médecins et ces sages femmes dans une institution qui leur paraît s’emballer. Ne remettent-ils pas en question leur identité professionnelle, leur vocation médicale, c’est-à-dire : « je n’ai pas fait ce parcours d’obstétricien ou de sage femme pour arriver à ça« .

Après cette interruption sélective de grossesse, le ventre maternel doit alors accueillir  la vie et la mort. La particularité de cette technique réside dans le fait qu’il n’y a pas d’évacuation des embryons, pas de matérialisation de ce qui est mort. Pendant la grossesse, les patientes mettent entre parenthèse le travail de deuil du ou des disparus, travail qui ne pourra se faire qu’après la naissance et qui est d’autant plus complexe que l’enfant imaginaire a été confondu avec l’enfant mort.

Le ventre maternel ne pourrait-il être vécu que comme une tombe?

VI  – La difficulté à admettre le principe d’incertitude au moment de la révolution numérique dans le champ médical.

– La maîtrise médicale.

Les participants du groupe s’inquiètent : l’incertitude devient insupportable.

Des exemples sont cités :

–       la séparation entre la mère et son enfant est souvent programmée.
–       Au nom de la lutte contre l’incertitude, des interruptions de grossesse sont réalisées sur le fœtus lorsque les parents ne veulent pas savoir s’ils sont porteurs de gènes pathologiques.  Ainsi certains parents choisissent la certitude de la mort plutôt que l’incertitude sur l’état futur de l’enfant.

Les biologistes s’alarment. L’un d’eux compare la maîtrise médicale de la procréation à une chaine de montage dont les éléments sont mis en place selon un schéma proche de la production industrielle :

« On essaie d’améliorer la qualité des embryons en vue d’une meilleure performance. Ils sont même devenus des objets d’échange que l’on peut négocier selon une logique quasi commerciale. Nous sommes entrés dans une logique de marché. Il s’agit d’une prestation de service où le client est roi ».

Un des participants évoque la trajectoire du biologiste J. Testart. Celui-ci s’est senti dépossédé du sens de sa recherche par une volonté de succès et de maîtrise, elle-même alimentée par l’avidité des médias à faire spectacle des performances médicales.

Une question se pose parmi les médecins : pouvons-nous renoncer à proposer quand il y a  encore du possible ? La demande elle-même est insatiable.

Devant ces inquiétudes, nous avons proposé à Jean-Pierre Lebrun de venir nous éclairer sur cette interrogation :

« La Maîtrise Médicale est-elle une Réalité ou une Illusion » ?

Jean-Pierre Lebrun reprendra ce titre et le modifiera légèrement : La Maîtrise Médicale : Réalité et Illusion.

Il ajoutera en sous-titre : Une Fabrique pour l’Humanité.

Pour Jean-Pierre Lebrun, nous sommes à deux doigts de fabriquer de l’humain. Néanmoins, on ne fabrique pas de l’humain puisque l’être humain ne peut ni s’exonérer ni se dégager de la prise en considération de limites pouvant être transgressées ou non (cf. Le mythe d’Icare).

Le drame d’Icare est de s’être trop approché du soleil, de s’être laissé fasciner, de n’avoir pas continué à désirer.

Il ajoute : « le désir humain vient nécessairement de l’Autre et de la séparation d’avec cet Autre qu’il a bien fallu opérer pour ex-ister.

Désir vient de de-sidere = se dé-sidérer, s’extraire de la fascination jouissante ou jouissive. De-sidere, c’est s’écarter de l’astre.

Désirer, c’est s’écarter de l’Autre, le désir dé-leurre un homme.

Si l’altérité est fondamentale (« je » vient d’un autre), elle ne se fabrique pas.

Quand les choses en médecine ne marchent pas comme elles devraient marcher, c’est peut-être que l’autre ne marche pas, résiste.

La place du psychanalyste dans le débat éthique serait-elle de questionner l’altérité et l’impossible ».

Qu’en est-il du symptôme ?

Le symptôme stérilité, loin d’être forcé par la technique ne doit-il pas souvent être respecté ?

De plus en plus, le médecin est mis en demeure non seulement de traiter des malades en tentant de les guérir mais encore de corriger ce qui fait défaut. Dans cette dernière démarche, son action peut-être sous-tendue par l’illusion de la toute-puissance thérapeutique, biotechnologique, action parfois contrecarrée par la rencontre avec l’impossible. Cette dernière rencontre peut fréquemment être éprouvée par le médecin comme un échec frustrant le renvoyant à son angoisse d’impuissance.

Emerge alors la différence structurelle entre le symptôme conçu par la médecine et ses agents et le symptôme au sens psychanalytique, formation de compromis entre un désir et une défense, comme le disait Freud.

Je terminerai en posant la question suivante :

De nos jours, dans le contexte de l’évolution de la médecine hospitalière actuelle, serait-il encore possible d’animer de tels groupes et de proposer une réflexion interrogative se référant à l’Inconscient freudien ?

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