Auteur : Luc Diaz faciebat
Le vendredi sept septembre deux mille douze, à l’hôtel Métropole de Montpellier, des membres, et quelques autres, d’au moins quatre associations d’analyse freudienne : l’insu, le cercle freudien, le mouvement du coût freudien, et les cartels constituant de l’analyse freudienne, se sont retrouvés, pour la troisième fois en un an, en une réunion toujours montpelliéraine, afin de poursuivre les mises en communs de leurs questionnements face aux réponses de plus en plus précises de l’État, quant à la psychanalyse, et désormais aussi face à celles de certaines autres associations d’analyse, qui ont, dors et déjà, mis en place leur propre offre de formation de psychothérapeutes.
Si le concept de présence dans l’absence a quelque pertinence, celle de Jean-Pierre Winter fut de celle-là. Elle a occupé les premiers temps de notre réunion, dans de vaines tentatives de skyper avec son corps resté en souffrances à Paris, nous faisant vérifier, s’il en était nécessaire, que même dans un monde, soi-disant virtuel, le réel ne tombait décidément jamais juste. Jean-Pierre tenait à nous parler, ou plutôt à parler avec nous, nous qui nous étions quittés, la dernière fois, sur « la haine de la parole »…
Pour introduire notre réunion, suite à ses discussions avec Moufid Assabgui, Michèle Skierkowski a souhaité rappeler l’orientation de ces rencontres entre nos associations, à la fois ce qui les avait provoquées, et ce qui les orientait depuis septembre 2011, suite à la publication des décrets d’application sur le titre de psychothérapeute, puis à l’avis de l’HAS relatif à l’autisme en mars 2012.
En relisant les contes rendus de nos deux premières réunions, Michèle aurait relevé deux points récurrents, plus d’autres peut-être, mais elle en retenait deux : déjà une formule : « Ce sur quoi nous ne pouvons pas céder », que nous aurions à déplier, puis, deuxième point, sur l’insistance d’une rencontre d’associations, de s’y mettre à quatre, voire cinq… Se mettre à quatre, se mettre en quatre, s’est-elle amusée, pour soutenir les questions contre les réponses déjà apportées, et contre celles qui ne devraient pas manquer de suivre…
Michèle a souligné l’importance que ce soient des associations qui se réunissent. S’il n’y avait pas eu d’associations d’analyse, elle pensait que la question de la psychanalyse aurait été déjà réglée soit du côté de la médecine, soit de celui de la psychologie, c’est-à-dire de toute façon du côté de l’université. L’existence des associations permettrait de maintenir cet écart-là…
Michèle a alors rappelé les propos d’Olivier Grignon lors de notre première rencontre en septembre 2011 : « … il nous faut, comme toujours, imposer la place de la psychanalyse dans un monde qui n’en veut pas, et n’en voudra jamais qu’au prix de considérables méprises. Pire encore, il est à craindre que ces méprises soient entérinées par les psychanalystes eux-mêmes dès lors qu’ils dénient la psychanalyse comme pratique de soins, alors qu’ils devraient travailler à produire conceptuellement la spécificité radicale de ce soin. »
Si elle trouvait le « il nous faut » un peu fort, dans un sens qui tirerait vers l’obligation, comme dans : imposer le respect – et pourquoi pas ? –, elle nous a proposé d’orienter le dire d’Olivier en prenant sa phrase comme base de : « ça s’impose à nous d’imposer ».
Elle a ensuite relevé que cette troisième rencontre n’avait pas lieu à n’importe quel moment, rappelant qu’il y avait eu lieu un petit changement au gouvernement. Le risque serait alors de se croire à l’abri en espérant une certaine bienveillance de ce changement pour maintenant. « Les choses roulent, elles continuent de rouler, les commissions commissionnent, ça continue de fonctionner et ça ne va pas s’arrêter », nous a-t-elle prévenus.
Elle a proposé de travailler à partir de textes : celui qu’Albert Maître nous avait adressé, et ceux qu’avaient préparés Marie-Laure Roman et Alain Deniau, voire Jean-Pierre Winter, pour autant, qu’il puisse se faire voir… et, peut-être, aussi quelques autres personnes, encorps. À travers toutes leurs discussions avec Moufid Assabgui, ils auraient eu envie de nous dire : « n’oublions pas que la visée de nos réunions est aussi de pouvoir poser, imposer, quelque chose à l’extérieur : ce sur quoi nous ne pouvons pas céder… ».
Moufid a alors repris que, sans associations de psychanalystes, et ce dès les réunions du mercredi, on ne pourrait pas poser les choses. Dans réunion, il y aurait quelque chose de libérant du signifiant. Il nous a demandé quel serait le but de ces réunions ? Au départ, elles auraient eu les prétentions de sociétés savantes, des prétentions scientifiques. Depuis les choses auraient-elles changé ? Effectivement, des associations qui délibèreraient, elles le feraient toutes. Personnellement, il nous a rapporté une vieille idée : quel acte, une association de psychanalystes pourrait-elle poser dans la cité ? Quelle publicité ? Les choses pourraient-elles se poser autrement que du côté d’une délibération ?
Pour prolonger la question de l’acte, Françoise Petitot nous a demandé : est-ce que rassembler quatre institutions serait un acte, une manière de dire, de faire, ou ne serait-ce juste qu’une opportunité ? Elle a souligné l’importance pour elle de l’idée d’Olivier Grignon, que les « petites » puissent travailler ensembles.
Moufid a précisé que ça partirait d’une question, et a témoigné de l’importance de la place de Montpellier dans cette affaire. En septembre dernier, les quatre associations en jeu dans ces rencontres auraient senti que les « grandes » associations faisaient leur pub. Pour preuve, cette année à Montpellier, trois « grandes » associations auraient proposé des réunions publiques avec une arrière-pensée de formation. Il a appuyé le fait que « nous », les « petites », nous détiendrions de ce point de vue une position singulière… Aucune de nos quatre associations n’aurait d’offre de formation. Telle serait la position où il en était.
Albert Maître a poursuivi à partir du texte qu’il nous avait fait passer, texte qui était né de l’invitation de Moufid : la haine dont la psychanalyse serait le nom. Il a constaté que finalement la haine serait un affect familier pour les psychanalystes : Freud l’aurait rencontrée dès le début et ça n’aurait jamais cessé. Albert a souligné que le transfert opérerait aussi sur ce mode-là. En soi, cette haine n’aurait donc rien d’extraordinaire.
L’inédit serait aujourd’hui dans la manière dont cette haine serait adressée aux psychanalystes. Son attention aurait été attirée par la une d’un hebdo traitant de la perversion narcissique, mise à jour par Racamier dans les années 1990. Le livre de ce dernier, La psychanalyse sans divan (1970), aurait été un guide pour les anciens psychiatres, quand Albert était interne. Ce livre aurait apporté quelque chose de l’ordre de la parole dans le monde asilaire. Racamier y aurait montré comment une certaine présence de la psychanalyse pourrait modifier la clinique même. En 1992, son bouquin sur Le génie des origines aurait introduit une nouvelle modalité clinique : les perversions narcissiques, qu’il aurait différenciées des perversions sexuelles, en caractérisant les premières par la jouissance que trouverait le pervers narcissique dans l’atteinte du narcissisme de l’autre, en lui faisant ressentir son inanité.
Le livre d’Hirigoyen, cette collègue, sur le Harcèlement moral, vendu à plus de 500 000 exemplaires aurait trouvé un écho dans le public, avec cette idée d’une perversion dans le lien social. Si Albert ne partagerait pas la réverbération de ces signifiants, ils témoigneraient cependant d’un réel d’une certaine clinique du lien social aujourd’hui. Il a alors proposé sur cette question de la haine, de la haine de la psychanalyse, de la mettre en relations avec cette dimension d’une certaine perversion dans le lien social.
Albert a soutenu l’hypothèse que cette dimension de la perversion narcissique ne serait pas quelque chose de circonstanciel, mais l’illustration des incidences subjectives de l’idéologie dominante du capitalisme financier. Le propre du discours du maître, aujourd’hui, serait de tendre à fonctionner indépendamment de la réalité psychique des gens et des choses, citant un patron qui rêverait d’un capitalisme sans usine… fiction d’un symbolique, d’une logique comptable qui fonctionnerait pour son propre compte, sans être lestée par les corps et les sujets.
Ce qui se dessinerait, nous a-t-il dit, dans cette logique de la comptabilité, ce qui y serait en question, ce serait un évidemment de la fonction de la parole. Nous la ressentirions comme quelque chose qui nous évacuerait et nous ferait disparaître. La logique du capitalisme financier, ce serait qu’il n’aurait pas d’état d’âme, ce ne serait pas qu’il haïrait, ce serait qu’il s’en foutrait ! Or nous aurions besoin de nous sentir haïs, parce qu’au moins, ça nous ferait exister. Nous serions, ni plus ni moins, confrontés à cette modalité d’être hors du compte, de ne pas être comptés, de ne pas compter… Nous nous retrouverions en position d’être en demande d’être haïs !
Albert a ensuite fait référence à un documentaire d’Arte, diffusé dans la semaine, sur Goldman Sachs, ce gotha qui aurait désormais infiltré tous les pouvoirs politiques aussi bien aux USA qu’en Europe, dans un discours totalitaire. Il a cependant souligné que les comptables ne pourraient pas évacuer trop longtemps la dimension de la parole. Nous n’aurions pas à nous plaindre qu’on ne nous aimerait pas, mais à nous faire entendre selon différentes modalités.
Albert a conclu sur la question de la transmission, qu’il différencierait de la formation. Il a rappelé l’importance de la dimension institutionnelle des analystes, avec l’illustration du lien « inter », nous invitant à prendre en compte l’intérêt de l’I-AEP. Les associations en se fréquentant ne cesseraient de rencontrer une altérité, ce qui leur éviterait, en étant entamées, la dérive de faire masse. Il a souligné que ce serait là une dimension que nous aurions à soutenir, dans la perspective de l’analyse laïque. La formation nous entraînerait ipso facto dans un modèle universitaire, c’est-à-dire à être prêts à endosser les habits d’une éventuelle légifération sur la psychanalyse et sur les psychanalystes.
Permettez-moi d’ajouter une petite incise personnelle en guise de remerciements à Albert d’avoir su d’emblée recadrer nos débats en nous remettant à notre place. Par nous, je veux dire, les analystes et leur demande de haine, même et surtout, si elle serait le primum movens d’un transfert analytique…
Moufid Assabgui a enchaîné par une question à plus savant que lui, en remarquant que dans l’assistance, certains auraient une formation politique plus avancée que la sienne. Il nous s’est demandé : comment constituer un collectif d’analystes ? Serait-il possible d’essayer de prendre la parole, non pas au nom d’une association ou d’un inter-associatif, mais au nom d’un collectif ?
Alain Deniau a alors émis une remarque dans la ligne de l’étourdit de Lacan : la tâche d’altérité serait tout autant désespérée que nécessaire. Désespérée serait la question de la haine, celle du Nebenmensch : « …je la mène quand même… ». Il nous a proposé d’orienter plus la question du sujet lacanien que celle d’un collectif. À la fois nous vivrions dans une société, dont il faudrait nécessairement reconnaître les représentations qu’elle aurait de nous, et en même temps le renfermement dans le petit groupe ne serait pas viable. Tels seraient les éléments d’un dilemme…
Michèle Skierkowski nous a alors pointé que le paradoxe, ce serait peut-être aussi ce qui définirait quelque chose de la psychanalyse. Le paradoxe, a-t-elle remarqué, Alain viendrait d’en soulever un, pour constater que nous n’arriverions pas pour autant à le régler, à être d’un côté ou de l’autre… Notre position, ce serait d’être dans le paradoxe, dans une tâche désespérée et nécessaire. Ainsi le débat sur le fait que nous ne pourrions pas dire : « Je suis psychanalyste », et que, pour autant, il faudrait bien pouvoir le dire d’autres fois. Michèle nous a invités au grand écart de tenir les deux, grand écart à maintenir aussi dans la façon dont nous transmettrions quelque chose…
Alain Deniau a voulu reprendre les choses autrement. On pourrait les aborder sur le mode politique, et il a fait référence au texte de Freud, sur l’Analyse avec fin, analyse sans fin, qui oscillerait entre deux positions : les analyses qui laisseraient un reliquat de transfert persistant dans le sujet sur le mode de l’hainamoration, pour être prêt à être analyste, et puis les manifestations résiduelles, d’ordre psychotique, dont Freud aurait été envahi pendant près de trente-deux ans, et qui seraient évoquées dans sa lettre sur l’Acropole, à Romain Rolland. Freud y repèrerait les manifestations résiduelles comme quelque chose qui inhiberait la pensée, en fonctionnant en mode circulaire sur la haine. Les reliquats continueraient à agir. Les manifestations résiduelles seraient les sédimentations des traits d’identification à l’analyste : « faire son petit Lacan ».
Dans ce repérage entre les deux positions de la fin, l’une reposerait sur l’amour et l’hainamoration, l’autre mettrait en jeu la haine : Freud disant de Ferenczi : « Il n’a pas compris et il en meurt… Désormais, nous n’avons plus rien à nous dire ! » Ferenczi meurt de son anémie de Biermer, cinq ou six mois plus tard. Alain proposait d’essayer de trouver à l’intérieur du fonctionnement psychique l’origine de cette haine… Il y aurait certes un rapport avec quelque chose de nouveau, de sulfureux, de sexuel, et en même temps, de nous demander par exemple : « qu’est-ce qui a pu pousser Onfray à soutenir une telle haine ? » Des considérations épistémologiques, déjà, mais aussi un ressort beaucoup plus profond : cette haine au cœur de chacun serait liée à la dimension de ce qui ne pourrait pas être verbalisé.
Moufid Assabgui a relevé une contradiction par rapport à la dernière séance : où le sentiment nouveau aurait été l’émergence de cette haine, émergence qui pour lui ne serait pas tellement ancienne, du moins dans une connotation très spéciale. Il a proposé un exemple qui le frapperait : quand on va à Saigon, ou plutôt à 上海 (Shangaï), les chinois auraient maintenu en l’état, dans un jardin, la pancarte suivante : « Interdit aux chinois et aux chiens ». En 1940, c’était : « Interdit aux juifs et aux chiens ». Cela ferait écho à sa propre histoire, celle de la Clinique de la Lironde, qui aurait correspondu à trente ans de sa vie, et qui aurait depuis changé de mains. Le psychiatre recruté aurait mis une pancarte stipulant : « Interdit aux psychanalystes et aux chiens ». Même si ses collègues lui auraient signifié qu’il avait atteint là une limite, cette pancarte aurait surgi.
Dinah Boissy a demandé s’il s’agissait de haine ou de peur ? Jean-Pierre Holtzer a cité un hebdo, Le nouvel obs pour ne pas le citer, qui restaurerait les autodafés pour la psychanalyse, en précisant que ce serait une question de haine, même si ce serait motivé par la peur. La haine, pour lui, ne serait pas contre la psychanalyse, mais une haine plus large de la parole.
Alain Deniau a rapporté un article de Jean Birnbaum, dans le dernier Monde des livres, où ce dernier repèrerait la conjonction de l’assassinat le premier septembre dernier d’une psychothérapeute, avec la parution du livre de Julia Deck : Viviane Elisabeth Fauville, où le personnage éponyme assassinerait son psychanalyste. Alain nous a demandé : est-ce que ce serait dans l’air ? Jean-Pierre a répondu que ce ne serait pas du même ordre. Jacques Asher, en précisant qu’un autodafé serait un acte de foi, nous a, alors, demandé quelle foi serait menacée par le maintien du sujet de la parole ?
Geneviève Abécassis a répondu que ce serait peut-être le retour à l’idolâtrie, qui serait alors menacé. Se disant juive, elle nous a rapporté que, quand elle avait commencé à lire les textes, elle aurait eu envie de mettre tout ça au rencart, mais régulièrement, ils lui reviendraient. L’interdiction de l’idolâtrie par ce fameux dieu sans nom et sans image soutiendrait la psychanalyse dans ces questions de l’identité et de l’identifiable, et en ce sens elle ferait peur. Alain Deniau nous s’est demandé si la psychanalyse n’aurait pas été identifiée comme la Juden-Wissenschaft, comme la science des juifs. Geneviève a évoqué un terrible retour de l’antisémitisme en France. Jacques Asher a relevé que la question de la psychanalyse dans l’institution, microcosme de la société, serait de nos jours confrontée à des manifestations de haine de plus en plus fréquentes. Si la haine était certes une manifestation de la peur, ce serait bel et bien une situation de haine, que nous vivrions.
Moufid Assabgui a poursuivi en s’intéressant à l’histoire des bibliothèques, celle d’Alexandrie n’aura pas été la seule à brûler, et à plusieurs reprises. Pour lui, ce serait des phénomènes qui auraient à voir avec l’esprit. Serge Vallon a évoqué l’actualité des situations mauritanienne et malienne. Moufid a repris la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie perpétrée par les conquérants arabes. Le « général » arabe aurait été un homme très éclairé, qui aurait écrit un courrier au Calife quant à la conduite à tenir. Ce dernier lui aurait répondu : « C’est de la parole. Or le seul livre qui est détenteur de la parole, c’est le Coran. Brûle tous les autres ! »
Yvelise Salom est revenue sur l’interdit aux psychanalystes et aux chiens, en citant Serge André, puis Imre Kertész, et enfin Patricio Guzmán, le réalisateur de La bataille du Chili. Elle a évoqué les systèmes totalitaires, la Shoah… Elle y verrait les attaques d’idéologies utilitaires, plus encore que la haine de l’autre. Nous ne serions pas les seuls à être visés. Nous serions emportés par : « Tout ce qui n’est pas plus vaut moins ». Elle a pointé les deux signifiants de l’irreprésentable : les femmes et les juifs. L’origine de la psychanalyse serait en liens directs avec ces deux signifiants. La psychanalyse serait une femme juive, elle n’aurait rien pour elle, a-t-elle ajouté. Son prénom serait Dora, a complété Serge Vallon.
Geneviève Abeccassis a pensé tout haut : une femme, les femmes dans le monde. Elle a rappelé ce qui se passe en Afghanistan. Elle s’est dite admirativement étonnée par les femmes de ce pays, par leur liberté de parole, par leur culot, qui leur vaudraient jusqu’à quinze ans de prison. Devant ces femmes qu’on enferme, elle a évoqué la haine du désir.
Albert Maître a repris la destruction des bibliothèques, pour souligner que ce qui y serait finalement à l’œuvre, ce serait que la logique du pouvoir voudrait que le discours du pouvoir fasse univers(el). Or, nous a-t-il rappelé, le manque de l’autre ce serait ce qui ferait penser. Il a vu dans la destruction de la bibliothèque, le signe avant-coureur d’une dégénérescence intellectuelle ultérieure. Le panneau « interdit aux psychanalystes et aux chiens », si on le prenait comme un trait d’humour, ce serait déjà un moindre mal.
Albert est alors revenu sur la formation des jeunes médecins. À « son » époque, on y aurait parlé de l’intérêt de la psychanalyse. Puis on aurait dit : « C’est pas vérifiable, c’est non-randomisable ». Aujourd’hui, on n’en parlerait plus du tout. Pour Albert, ce serait pire de ne pas en parler que de louvoyer. Que la psychanalyse dérange, ce serait tant mieux ; mais reprenant la une des hebdos, il nous a pointé la course folle actuelle vis-à-vis de ce qui serait nouveau, où il faudrait détruire ce qu’il y avait avant.
Serge Vallon a alors posé une question : « est-ce de la haine ou de l’agressivité ? » Il nous a dit y avoir réfléchi, il y a longtemps, en ces termes : la haine serait primaire dans la structuration subjective. Quand elle acterait, ce ne serait que des reliquats de haine. Ce dont on parlerait, ce serait de l’agressivité, de l’agressivité de la droite décomplexée par exemple, une espèce de dévergondage de la parole publique. Sarkozy aurait été le nom de la honte. Pour Serge, la haine annulerait l’altérité, comme lors de la guerre d’Algérie, où l’on serait allé à la corvée de bois, pour ne pas dire qu’on y allait exécuter les prisonniers.
Chez l’humain, l’inhumain serait trop présent – Menschliches allzumenschliches, mon cher Serge –. Il nous a dit se méfier d’un usage du mot de haine. Il a repris les propos d’Albert dans son introduction : on serait bien content d’être « hainés », parce qu’on existerait. La psychanalyse serait un système de symbolisation, ce ne serait pas le seul, a-t-il constaté. Elle produirait du sujet et du transfert. Sur cette spécificité, Serge nous a rapporté s’être retrouvé désagréablement minoritaire au cours d’un colloque toulousain sur psychanalyse et médecine. Serge y aurait soutenu l’existence d’un faux universel dans la psychanalyse, un univers symbolique particulier, une dynamique qui se serait ouverte jusqu’à la mort…
Delphine de Roux a poursuivi la distinction entre haine et agressivité, par quelque chose où l’autre n’aurait pas lieu d’être. Elle a raconté une anecdote personnelle qui lui aurait fait violence, sous forme d’une communication téléphonique avec SFR, par rapport à l’ADSL. Il aurait fallu qu’elle soit au bout du fil, et elle y aurait pensé en termes d’interlocution. Au bout d’un moment, elle aurait émis une hypothèse, à laquelle il lui aurait été dit : « Madame, vous n’êtes pas là pour vous poser des questions, c’est moi qui ai les réponses ! » Françoise Petitot a rapporté que cela aurait été mot pour mot ceux d’un chef de service. Dinah Boissy a remarqué que ça répondrait au début de nos débats : comme la psychanalyse poserait les questions, l’autre ne pourrait pas avoir la réponse.
Jacques Asher est alors revenu sur les bibliothèques et le lien entre l’émergence de la psychanalyse, son opérabilité, et le signifiant juif. Il lui souvenait, dans l’histoire ordinaire, de Poliakov et des liens entre misogynie et antisémitisme. Dans la Revue juive, au cours des années trente, Freud aurait posé la question du lien au signifiant juif, qu’il aurait repris avec Moïse et le monothéisme. Au début du dernier siècle, Sexe et caractère, le livre de Weininger, juif converti au christianisme, aurait poursuivi de sa haine femme et juif. Déjà les consignes…
Alain Deniau s’est alors dit reconnaissant à Serge Vallon d’avoir clarifié haine et agressivité. Il a soutenu que la vraie haine se trouverait dans la psychose, qu’elle y serait sans objet. Il a évoqué le reliquat de transfert en mouvement, aussi bien dans les cures quand elles rateraient, que lorsqu’on prendrait des analyses en deuxième ou troisième main, et que l’on y découvrirait que des psychanalystes se seraient permis des trucs invraisemblables, qui auraient fait effondrement, voire toutes les transgressions possibles, telle celle de ce psychanalyste qui se serait battu avec son analysante.
Patrice Champoiral a, ensuite, détaillé les séquences d’une déception, depuis quelques années dans les institutions. Deux voies lui seraient repérables : d’une part la question de la haine, sans doute ancienne, d’autre part, celle du non-amour. Ceux qui haïraient versus ceux qui n’en auraient rien à foutre. Ce qui aurait disparu, ce serait l’amour de la psychanalyse. Geneviève a contrebalancé en décrivant la ferveur, l’amour des chinois, la foi qu’ils auraient dans la psychanalyse. Elle a évoqué sa présence au colloque de 慎独 (Shendu) au printemps, avec une centaine de participants. Françoise Petitot a tempéré ces propos, en soulignant leur lien avec une relation transférentielle.
Patrice Champoiral a insisté en se posant cette question : « où est l’amour de la psychanalyse ? » Quelle serait la parole, quelle parole pour donner une chance à cet amour d’apparaître ? Il a regretté que cette parole-là manquerait, en remarquant que ce que l’on entendrait le plus souvent, ce serait que le psychanalyste ne parlerait pas, c’est-à-dire bientôt un silence de mort. Il a conclu en s’interrogeant sur quelle parole pourrait rendre possible cet amour ? Françoise Petitot a répondu que l’amour de la psychanalyse en psychanalyse, cela s’appellerait le transfert. Il n’y aurait jamais eu le sentiment d’amour. De la passion, de l’intérêt, oui ! de l’amour…
Michèle Skierkowski est alors revenue sur quelque chose du côté des rencontres, des rencontres sur Montpellier, et de la question de savoir comment chacun y aurait rencontré la psychanalyse. Ce qui l’aurait frappée, cela aurait été le plus souvent une rencontre, une rencontre entre un discours sur…, et un professeur, un livre, un tout petit peu animée par la rencontre d’une question propre. Dans ses jeunes années, elle a évoqué quelque chose à la fois d’un transfert, et…, et la rencontre avec une question propre, se demandant quels seraient les lieux possibles, aujourd’hui, pour de telles rencontres ? Serge Vallon a répondu qu’il n’y aurait pas de lieu, que ce serait partout où l’on serait. Michèle nous a provoqués avec le faut-il brûler la psychanalyse ? du Nouvel obs. Serge y a reconnu un marronnier. Leur fonds de commerce, a précisé Françoise Petitot, rappelant que déjà à l’époque…, et souhaitant que nos débats rebondissent un peu.
Une personne, dont je n’ai malheureusement pas pu noter le nom, nous a ramenés du côté de chez nous, en nous rappelant que, parfois – doux euphémisme –, nous y aurions été un peu – idem – pour quelque chose, par nos formes d’attitudes, de prestance. Des attitudes qui auraient heurté, blessé. Elle nous a invités à nous reporter à nos erreurs, reconnaissant que nous en aurions commis pas mal, dans un contexte général, où il serait question de brûler les bibliothèques. Patrice Champoiral soulignant l’insistance avec laquelle elle apparaîtrait dans la parole, que ce soit pour l’autisme ou… Françoise Petitot a scandé en nous demandant qui supporterait aujourd’hui d’envoyer un texto sans avoir une réponse dans les cinq minutes. Pas elle, en tout cas !
Marie-Christine Alquié nous a invités à sortir de notre tour d’ivoire, et en évoquant le dernier livre d’André Green, à parler de nos échecs, des échecs de la psychanalyse. Albert Maître a soutenu que la dimension persécutrice, qui nous viendrait de l’autisme, ne serait pas sans fondement. Ce qui aurait pu être persécutoire pour ces familles et ces enfants, ce serait l’injonction de parler, même si cela aurait été fait de notre part avec l’espoir que ça arriverait un peu à dénouer quelque chose. Nous nous serions caricaturés en les rendant responsables de l’autisme de leur enfant. Nous n’aurions pas voulu voir une impossibilité de prendre la parole. Le retour que nous prendrions de plein fouet nous mettrait un peu le doigt sur le fait que nous y aurions négligé une dimension du réel. Nous resterions embarrassés devant ces situations où l’on aurait affaire à un réel.
Nouvelle petite incise personnelle pour constater que l’interdiction actuelle qui est faite à ces parents de parler de leur culpabilité, dont la biologie les dédouanerait, est tout autant persécutrice que l’injonction que nous leur faisions d’en parler. Les êtres humains ne sont jamais aussi bêtes que ce que l’on pourrait les supposer, et quand on leur parle de génétique, par exemple, ils y ressentent bien, au moins, la gêne de leurs propres gènes.
Serge Vallon est alors revenu sur une idée du transfert. Si le transfert était universel, nous ne serions pas les mieux placés. Dans le passé, nous aurions fait comme si nous étions propriétaires de l’inconscient. Il a évoqué un patient qu’il recevrait : on se parle, nous a-t-il dit, pas vraiment dans un face à face, car il aurait pu tourner un peu le fauteuil. Ce dernier parlerait aussi dans un groupe d’AA, et encorps dans une association d’il ne savait pas trop quoi pour les gens qui auraient été abusés, et en plus il viendrait le voir. Serge nous a dit ne pas se porter plus mal de cette conjonction, alors qu’il y a trente ans, il aurait dit que c’était n’importe quoi, qu’il fallait choisir ! Nous serions responsables de cette déflation, et pour lui, ce serait plutôt une bonne chose. Il nous a alors demandé : pourquoi serions-nous persécutés ? Il a alors cité Énigmes et complots, une enquête à propos d’enquêtes, le livre de Luc Boltanski. La persécution sur le savoir viendrait de l’illusion d’une transparence, pseudotransparence liée à la démocratie. Ou à la médecine, a renchéri Moufid Assabgui : désormais on y verrait tout ! Serge est alors revenu sur notre responsabilité de nous croire propriétaires l’inconscient.
Pour Alain Deniau, ce serait lié à un moment du fantasme de toute-puissance, que ce soit par exemple avec les anorexiques ou les alcooliques. Il s’est remémoré une patiente qui aurait beaucoup « avancé » en soutenant à la fois un travail analytique et un parcours chez les AA, à partir du moment où elle avait pu dépasser le discours béatifiant des AA. Et son fantasme de sobriété absolu, a complété Serge Vallon.
La pause fut, comme souvent pour le nicotinomane que je reste, bienvenue.
À la reprise, Moufid Assabgui aurait voulu donner la parole à quelqu’un qui avait présenté son dossier à l’ARS, pour l’obtention du titre de psychothérapeute. Il était malheureusement (?) absent. Il a évoqué l’horreur de l’interrogatoire, que cette personne aurait subi, notamment de la part des analystes, qui composaient la commission. Ces derniers se seraient posés comme détenteur de la vérité. Dans un premier mouvement, il aurait eu envie de prendre la plume pour leur répondre, mais il se serait bien vite demandé : « quelle place tu prends ? » Ce serait peut-être pour lui l’une des fonctions d’un collectif, qu’il appelait à nouveau de ses vœux, de pouvoir produire une lettre courte. Il nous a demandé : « peut-on penser ensemble ? »
Marie-Laure Roman, qui nous avait préparé un petit texte, a alors pris la parole, pour nous faire part du compte-rendu de la dernière réunion de l’Insu, à propos de la haine de la psychanalyse. Dans un premier temps, ils y auraient repris ce qui avait été dit lors de notre dernière réunion du mois de mars : la haine de la psychanalyse aurait toujours été présente ; Freud y aurait décelé une résistance de l’humanité quant à la castration. Ils se seraient posés la question de savoir comment cette haine se déclinerait-elle aujourd’hui ? Ils y auraient insisté sur un visage de la haine, celui de la fonction de la parole, où la parole subjectivante serait déchue au profit de l’image, soulignant la difficulté du lien entre discours et véracité. La psychanalyse y serait à contre-courant, porteuse de la castration de la demande, dans une culture où la demande devrait pouvoir être sans limites. Si la castration de la demande était effective, l’émergence du désir pourrait-elle être compatible avec le capitalisme financier ?
Marie-Laure a ensuite souligné l’importance de pouvoir être dans un acte, à partir de nos points communs, à soutenir dans la dynamique entre nos associations. Elle a souhaité que nous puissions poser quelque chose avant de nous quitter, et, dans ce sens, elle a accentué un point important qu’ils auraient soulevé, à savoir la différence entre formation et transmission.
La qualité du silence qui a suivi cette prise de parole fut, il me semble, en rapport avec celle de cette dernière. Moufid Assabgui l’a d’ailleurs rompu, en remarquant que Marie-Laure s’était adressée à nous, non en son nom personnel, mais au nom d’un compte-rendu de l’association qu’elle préside. Il nous a demandé comment l’articuler ? En nous demandant de définir ce que nous soutenions, Mathilde Troper-Friedman a précisé la question que nous posait Marie-Laure. Celle-ci a alors repris que ce qui nous réunirait, ce serait une position par rapport au savoir, et ce dans deux registres : celui de la psychanalyse elle-même, et celle d’une position spécifique que notre groupe de quatre associations soutiendrait à l’intérieur de la psychanalyse.
Pour Dinah Boissy, ce que nous soutiendrions, ce serait l’altérité : il y a quatre associations. Elle a craint qu’à vouloir ajouter de l’acte à l’acte, nous risquerions de l’effacer. Pourquoi vouloir en rajouter ?, nous a-t-elle demandé, en remarquant que nous serions tiraillés entre soutenir l’altérité et quelque chose que nous aurions du mal à soutenir. La question que Moufid Assabgui nous posait de la réponse à faire à ces « Messieurs » de la commission, qu’est-ce qui l’empêcherait de la faire en son propre nom ? Pourquoi aurait-il eu besoin que ce soit au nom d’un groupe ?
Pour beaucoup de raisons, a répondu Moufid. Des raisons personnelles d’abord. Il aurait été un acteur très actif au moment de l’ARH, siégeant à certaines commissions, entretenant des relations avec la directrice de l’ARH. Puis, le sarkozysme aurait sécrété des promotions de copains, de coquins, et le travail ne serait plus devenu possible. Beaucoup d’arrières pensées l’en empêcheraient. Avant de conclure de façon rédhibitoire : « Je fais partie des vieux ! »
Michèle Skierkowski est revenue à ce moment-là sur notre dernière réunion, craignant qu’au-delà de ce qui était formulé dans les décrets d’application de la loi sur le titre de psychothérapeute, avec les psychanalystes régulièrement inscrits dans des associations, se profile le temps d’après, celui des « bonnes » associations, celles qui le seraient reconnues, celles qui le seraient déjà d’une certaine manière. Nous aurions quelque chose à dire par rapport à ça, pour éviter que bientôt, très vite, on vienne nous dire : les « bons » analystes, ce sont ceux qui sont inscrits dans les « bonnes » associations. Moufid Assabgui a alors avancé un peu de fiction : les décrets de loi vont être complétés. Soit nous nous dirions que nous résistons, un certain temps, ça pourrait marcher, soit nous nous dirions qu’il faudrait prendre position, et alors comment ? Comment avancer et faire savoir trois ou quatre idées ?
Albert Maître a, sur ce, repris l’idée que s’il n’y avait pas eu d’associations en France, la situation de la psychanalyse y serait bien différente. Il n’y aurait qu’à voir comment elle s’était jouée en Allemagne ou en Italie. En France, l’existence des associations d’analystes lui semblerait instituer des états de faits. Certaines auraient le style de faire de la formation. D’autres privilégieraient la transmission. Il y aurait là une tension entre formation et transmission. La formation canonique, ce serait celle de l’IPA, cursus très formalisé, qui ne pourrait que plaire aux autorités publiques. Dans certaines associations lacaniennes, ce serait déjà ainsi.
Pourtant, il n’y aurait jamais d’être analyste, a priori, ce serait uniquement dans l’après-coup, que l’on pourrait dire qu’il y en avait eu, et sans pouvoir préjuger d’aucun devenir. Ce ne serait qu’en actes, qu’en parlant entre nous. Pour Albert, ce serait cela que nous aurions à mettre au travail et à développer. Le processus de la cure, ce ne serait pas l’interprétation, ce serait le fait qu’en prenant la parole, des choses se déplaceraient. La formation des analystes devrait reprendre ce qui serait en jeu dans la cure. Albert a espéré que si un certain nombre d’associations arrivaient à travailler ensemble, elles pourraient peser d’un certain poids aux yeux des pouvoirs publics. Des associations d’analystes ne manqueraient pas, quant à elles, de bientôt demander que les autorités publiques fassent le ménage, avec comme premier critère, celui du nombre d’adhérents.
Alain Deniau a repris sur la tension entre formation et transmission, avec la formation de Lacan, lui-même, qui se serait coulé dans le moule de la SPP avec Rudolph Loewenstein. Il se serait bien vite débattu. Loewenstein n’aurait pas voulu l’habiliter. Il aurait fallu l’intervention de Pichon, un grammairien venu de l’extérieur. Ça lui serait ressorti en 1953, quand il aurait dit : la transmission, c’est moi qui vais la faire. Alain a souligné que toutes les institutions seraient là pour se pérenniser, alors que chaque transmission devrait être singulière. S’il a reconnu que ce ne serait pas mal d’avoir l’idée d’une association plurielle, il n’était pas certain qu’il faille l’instituer.
Serge Vallon a mis son petit bémol : il lui semblait que lors de la scission de 1953, Lacan était le patron de l’institut. Il aurait choisi de donner son tablier, a repris Alain Deniau. Serge a rappelé la révolte des élèves, qui en auraient eu marre d’être infantilisés. Nous en aurions hérité, mais il ne nous faudrait pas sacraliser. Il nous faudrait les deux : formation et transmission, a-t-il rajouté. Ça dépendrait de ce qu’il s’agirait de transmettre, s’est enquis Alain. Est-ce que ce qui se transmettrait ce ne serait pas une position subjective, qui aurait à voir avec l’éthique ?, nous a-t-il demandé. Françoise Petitot remarquait alors qu’on pourrait avoir une position subjective éthique, tout en étant « analphabète ». Serge soutenait que tous ces matériaux, il nous fallait bien en disposer : nous ne transmettrions pas qu’une position subjective, nous aurions besoin de la mémoire des Lumières, des monothéismes. Ça ne s’opposerait pas. Françoise apprécia que ça s’affinât un peu.
Dans ce débat entre formation et transmission, permettez-moi d’ajouter une dernière incise personnelle – avant la conclusion –, incise que je dois à Costas Ladas, et qui est, il me semble, dans le gauche fil de notre tâche désespérée et pour autant nécessaire de tenir les deux bouts, les deux debout… en ne tentant plus de faire passer la ligne de partage, qui, au bout du conte, sera toujours celle du Bien et du Mal, entre formation et transmission, mais à l’intérieur de chacune d’elle. La remarque de Costas est la suivante : tout corps d’armée, qui se respecte, comporte une unité de transmission, dont la tâche est de transmettre de haut en bas l’ordre du chef, l’ordre du « maître ». Trans-maître…
Patrice Champoiral a constaté que les lieux, où la psychanalyse pourrait encore se transmettre, seraient aussi des lieux de formation : l’université ou l’hôpital. Françoise Petitot a fait part de son désaccord, en soutenant qu’en tant que patient : « Ah, non ! c’est autre chose ! » Patrice a poursuivi son propos en racontant qu’il aurait rencontré la psychanalyse à l’université, et en regrettant que les associations pécheraient le plus souvent par leur monoculture, puis en soutenant que les lieux de formation seraient aussi les lieux où l’on pourrait subvertir… Françoise a prétendu avoir quelque idée là-dessus. Serge Vallon a enchaîné sur les lieux de la pédagogie institutionnelle.
Thérèse Ferragut a souhaité s’écarter de ce discours sur une culture, pour rappeler ces professeurs qui, avant, nous auraient fait part de leurs expériences. C’est-à-dire d’un parcours subjectif, d’une rupture, qui ne pourraient pas être évalués. Dans ce domaine, il n’y aurait pas de savoir établi ou mesurable. Tout le monde saurait de quoi nous parlerions, mais nous n’arriverions pas à la dire. Elle a proposé de différencier ce qui serait de l’ordre de la culture, ou de l’enseignement, de ce qui serait de celui de l’expérience, qui, elle, ne pourrait pas être comptable d’un nombre d’heures. L’expérience, oui, a poursuivi Serge Vallon, pour préciser : et avec qui ? Thérèse a soutenu que nous serions en rupture avec cela.
Pas du tout !, a rétorqué Serge. Il a alors avancé que ce qui spécifierait les Cartels, ce seraient essentiellement deux choses. Premièrement, celle d’essayer d’échapper à deux maux : d’une part celui d’une logique bureaucratique, d’autre part celui du modèle charismatique d’une personne centrale. Après la mort de Lacan, les Cartels se seraient formés, en se constituant au participe présent, sur l’idée que personne ne pourrait se réincarner… La deuxième spécificité des Cartels, ce serait leur insistance sur le fonctionnement des dispositifs, qui viendraient rappeler que la psychanalyse ne serait jamais acquise une fois pour toutes. D’où l’importance des dispositifs, qui viendraient sans jamais cesser actualiser, revivifier, nos pratiques et nos théories. Serge a déclaré ne pas retrouver ces deux caractéristiques partout, loin s’en faut. Il a cité par exemple un Mannoni ininterrogeable par les ex-mannoniens. Il a conclu en soutenant qu’une association autour d’une figure centrale, ça, on pourrait la former, puis en nous demandant : qu’est-ce qui nous retiendrait de fusionner ?
Pour Françoise Petitot, ce qui nous empêcherait, ce ne serait pas seulement les organisations de nos différentes associations, mais encorps leur style. Serge a évoqué les plus nombreuses, celles qui auraient le plus de photocopies du même. Michèle Skierkowski a alors proposé d’atténuer un tout petit peu nos différences, pour nous retrouver dans nos fonctionnements autour d’une place vide et d’un crédit fait aux dispositifs. À l’énonciation, a précisé Albert Maître. Ce serait peut-être suffisant, a poursuivi Michèle, et avec le style propre de chaque association, nous n’en serions pas si loin. Elle a évoqué le travail sur la psychanalyse des enfants, avec des modalités « pas tout à fait les mêmes » pour tout le monde, mais quand même. Elle s’est amusée de la façon dont chaque association se nommait, devant l’interpellation de l’employé de l’hôtel Métropole, lorsqu’il avait dû rédiger les factures de nos quatre associations pour cette après-midi de travail. Albert Maître a souligné que nous pourrions bien en rire, si nous n’oubliions pas combien ces nominations nous seraient précieuses. Françoise Petitot a rapporté combien ils se seraient bagarrés sur le mot : mouvement.
Alain Deniau a expliqué qu’au Cercle freudien, ce qui serait à l’origine du nom, ce serait l’idée de cercle littéraire. Il a évoqué Jacques Hassoun, qui se serait intitulé : « homme de lettres ». Par ailleurs, le cercle contiendrait l’idée d’un vide central, mieux celle d’un tore à regarder du dedans et non pas d’au-dessus ; il apporterait la question de l’hétérogène, de la circularité, à la différence d’institutions qui tourneraient en rond(s) autour d’un pivot central.
C’est le moment qu’a choisi Moufid Assabgui pour nous faire une proposition très provocatrice : comment appeler ce groupe de quatre associations ? Avançant encore plus dans la provocation, il a suggéré de faire un colloque en Chine qui aurait pour titre : la bande des quatre ! Il nous a, à nouveau, demandé ce sur quoi nous ne céderions pas, et si les chinois avaient lu l’œuvre de Freud, et le mot d’esprit, comment traduire dans d’autres langues, le mot d’esprit ? Françoise Petitot a avancé que nous ne serions pas un groupe, au mieux un collectif, nous proposant d’affiner cette question, en pensant qu’il vaudrait mieux que le collectif ne soit pas un groupe. Une personne, dont je n’ai pu m’enquérir du nom, a soutenu que le collectif ne serait pas né hors des syndicats. Ou hors de la psychothérapie institutionnelle, a répliqué Françoise.
Pour Alain Deniau, Lacan aurait différencié l’amas du collectif, à partir du moment où quelque chose ferait lien. À l’origine de la psychanalyse, suite à la dimension persécutrice du conflit avec Fliess, et aux années de splendide isolement, serait venu le groupe du mercredi, où tous les gens auraient été ensemble dans ce premier temps, puis, bientôt l’histoire du fameux anneau des sept, et, enfin une organisation bureaucratique. L’anneau, des signes de reconnaissance, a associé Serge Vallon. Tout un rituel d’adoubement, a poursuivi Alain.
Delphine de Roux a alors voulu reprendre : là où ça n’avait pas lieu d’être. Il lui venait l’opposé : là où ça avait lieu d’être. Elle constaterait que finalement que l’Aire méditerranéenne fonctionnait depuis maintenant plus de vingt ans. La question du lieu lui paraissait essentielle, un lieu et un temps joués dans, par, un dispositif. Serge Vallon a poursuivi en rappelant qu’aux Cartels, ils ne se seraient jamais pensés suffisants, pour apporter tout ce qui pourrait être nécessaire. Ils auraient toujours eu besoin d’avoir des liens, pour la passe, par exemple, ou d’aller s’emmerder à l’I-AEP. Si on restait dans le chacun pour soi, on n’irait pas bien loin…
Moufid Assabgui nous a alors rappelé qu’il nous restait qu’un petit quart d’heure. Il souhaitait que nous le mettions à profit pour soulever deux ou trois questions, celle par exemple d’une autre réunion : la désirerions-nous ? Et si oui, devrions-nous la programmer maintenant ? En fixer entre nous un thème ou bien un terme ? Après quelque silence, il a proposé que si nous nous questionnions du côté du thème, nous devrions faire un compte-rendu lapidaire – c’est-à-dire tout l’inverse de ce que je suis en train de vous proposer…–. Après les débats de notre après-midi, la question de la haine n’apparaissait plus à Moufid aussi pertinente qu’au début de nos discussions. Il en relevait deux de cette demi-journée : un symbolique sans sujet, et une autre, qui ne serait venue qu’une fois, celle de la négation du réel, une forme de négativisme, de négationnisme…
Pour Albert Maître, ce serait alors une manière de nous saisir de quelque chose que nous n’arriverions pas à penser. Nous étions partis de la haine et nous terminions sur la transmission. Parler de la transmission plus que de la formation lui semblait à spécifier. Il est revenu sur ce quelque chose de particulier à la psychanalyse, qui expliquerait la haine. La manière dont elle se transmettrait serait différente de l’universitaire, ou même d’une accumulation des expériences. Chacun aurait affaire avec ça. Quand même, et même si tout cela ferait partie de la transmission, il y aurait quelque chose en plus, qui ne pourrait au grand jamais s’organiser en un discours universel, et ce serait cette absence qui serait inacceptable pour, par, le social.
Pour Françoise Petitot, la psychanalyse ne serait pas seule à supporter ce reproche-là, il toucherait l’ensemble du discours culturel. Il y aurait eu un ensemble de pensées, qui se renverraient peu ou prou les unes aux autres, et de là rupture… La littérature !, a ponctué Albert Maître. Un autre style d’écriture, pour Alain Deniau, qui nous a demandé : « qu’est-ce qui fait que France Culture donne toutes ces audiences aux conférences d’Onfray ? » Il cognerait les idoles dans une pensée adolescente, s’est-il répondu. Pour Albert, nous aurions tort de penser qu’il n’y aurait que nous. Onfray, un éloge de la masturbation !, a lancé Serge Vallon. Une jouissance solipsiste !, a-t-il poursuivi, évoquant le dernier texte de Jacques Nassif, sur Bataille entre Freud et Lacan, et les questions de jouissance et de souveraineté.
Alain Deniau a constaté qu’il était difficile dans notre fin de conversation de continuer de rebondir, remarquant cependant que la psychanalyse participerait du style global d’une société, mais qu’en même temps, il lui faudrait tenir l’indiscernable de l’objet a, le point de réel qui percuterait au-delà d’une psychanalyse, même bien conduite – pour autant qu’elle puisse l’être –, au risque sinon de glisser dans le culturalisme. Françoise Petitot a protesté : « Je ne suis pas culturaliste ! J’ai pas dit ça ! ».
Pour Alain, les véritables artistes – pour autant qu’ils puissent l’être – nous anticiperaient. Il a alors convoqué, par ma propre voix, Anish Kapoor, plasticien contemporain britannique, né à Mumbaï (Bombay) en 1954, que ce soit au travers de son installation Léviathan, dans la nef du Grand Palais à Paris, pour le Monumenta 2011, ou de sa tour sculpture monumentale, Orbit, érigée en 2012 à l’occasion des J.O. de Londres.
Michèle Skierkowski a conclu en prenant acte de désir que nous aurions de poursuivre. Quant aux modalités pratiques – date, thème, lieu, etc…–, elle nous a dit ne pas se faire trop de soucis. Nous nous étions quittés en septembre dernier sans les fixer, ce qui ne nous avait pas empêchés de nous retrouver en mars… Les associations continueraient de se parler !
Je quittais la salle avec une certaine perplexité, que l’on qualifie généralement, faiblement, d’anxieuse. Me revenait cette tâche désespérée et pourtant nécessaire de tenir les deux bouts, de faire le grand écart des paradoxes, de soutenir les apories des discontinuités dans les continuités et leur vice-versa.
Le traintrain du tram, qui me conduisait chez moi, me ramenait en pensées à l’Institut médicalisé « les IV seigneurs », quelque neuf ans plus tôt, plus précisément le vingt-deux novembre 2003. J’y avais connu le bonheur d’y assister au séminaire de François Balmès. Dans l’après-midi de ce samedi, il avait intitulé son propos : « Le réel, est-ce que ça marche… ? ».
Il nous y fit reparcourir, entre autres, La troisième, en nous y montrant un Lacan s’efforçant à la façon des théologiens de tenir les deux bouts de la chaîne, c’est-à-dire deux postulats rendus également nécessaires par des pans entiers de la doctrine et qui sont pour autant contradictoires. Pour Bossuet, les deux bouts de la chaîne, c’étaient l’omniscience divine et la liberté humaine. Toute l’histoire du christianisme est dans l’impasse de cette géniale contradiction : Dieu sait tout (d’avance), mais nous sommes libres.
Pour le Lacan de La troisième, le réel qui fonctionne est impliqué par toute forme de rationalisme, et le réel discordant, obstacle, qui ne fonctionne pas, est impliqué par le symptôme. Je ne poursuivais pas avec le nouveau renversement opéré par Lacan, entre la réalité et « son » réel, trois semaines après La troisième, au cours de la séance du 13 avril 1976 de son Séminaire XXIII, sur Le sinthome. J’étais arrivé à mon terminus…
En descendant du tram, je me demandais si le temps n’était pas venu de faire prendre le caillé, où nous tentions, tout aussi désespérément que nécessairement, d’écrire sur ce quoi l’on ne peut pas céder et ce sur quoi l’on peut s’aider, et si oui, que faire, alors, du petit laid, qui ne manquerait pas d’en accoucher, voire d’en avorter ?
Aujourd’hui, je « nous » me le demande encorps…
Luc Diaz faciebat,
Castelnau le lez,
le samedi six octobre 2012.