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Actualités de l’infanticide

Par Stéphane Fourrier

De nombreux faits d’actualité pourraient bien être liés et décliner de la même surdétermination inconsciente. Des jeunes gens en massacrent d’autres sur rendez-vous ; des peuples en massacrent d’autres en guise de programme. L’effroi le dispute à la liesse en légitimité. Démembrements, décapitations, viols sont filmés comme le seraient, pourquoi pas, des performances artistiques. Un chef d’Etat appelle à faire des enfants pour les envoyer à la guerre selon un calcul purement économique ; des sondages disent que nombre de jeunes gens sont plutôt d’accord. La question du droit à l’avortement (comme celle du port d’arme !) fait trembler les démocraties jusqu’à faire dégainer l’arme constitutionnelle. Le soin psychique est jugé trop coûteux et archaïque ; l’argument des promesses des neurosciences est utilisé pour faire passer une organisation de la pénurie et privilégier les pseudo-diagnostics et les traitements expéditifs ou maltraitants. Les Etats se désengagent de leurs missions de protection au profit de la gestion du risque en faisant peser leurs incompétences et leurs déficits sur les générations futures. Les familles et toutes les institutions font de même en s’hypnotisant sur les écrans. La science est détournée de son champ pour répondre aux questions éthiques. L’intelligence artificielle est promise à donner la parole aux machines ou même à des morts pour faire taire les vivants qui pourraient parler en leur nom propre. Le droit à l’enfant passe sous silence les besoins de l’enfant et les devoirs envers eux. De nouveaux éléments de langage administratifs bafouent ces besoins, comme la notion « d’enfant sans statut » (c’est-à-dire sans représentants légaux) utilisée par les services de protection de l’enfance. Les besoins pulsionnels sont confondus avec des droits à la jouissance. Les enfants et les adolescents sont lâchés sur les autoroutes de l’information, les réseaux « asociaux » et les sites de « mauvaises » rencontres, sans défense (et sans casque). Les enfants en souffrance dans la guerre des sexes se voient offrir l’amputation et de grandes difficultés futures dans leur vie sexuelle et génitale, etc., etc… 

L’enfant est à la fois idéalisé et exposé. Il l’était déjà mais de manière plus assumée pendant l’Antiquité quand l’infanticide était l’alternative normale à la reconnaissance. Cet infanticide était sous-entendu dans le terme pudique d’« exposition ». C’était un acte jugé civilisé, d’amour envers la cité et les proches qu’il fallait bien préserver des naissances intempestives. L’infanticide représente actuellement le comble de l’horreur, honnie ou recherchée, voire exhibée, mais toujours dans la violence du passage à l’acte. Qu’est-ce qui ne passe pas dans le social pour que ce refoulé au fond de toute société fasse retour ?

Suffit-il d’y voir les symptômes d’une crise que traverseraient les sociétés humaines condamnées à évoluer, ou ceux d’une perte de repères induite par la course contre la montre de la lutte des progrès technologiques contre leurs propres effets ? Suffit-il d’invoquer, comme l’ont fait Luther, Freud et quelques autres, une tendance humaine ou biologique foncièrement mauvaise ? La psychanalyse apprend non pas à interpréter tout et n’importe quoi, mais à avoir l’attitude scientifique de s’étonner de ce qui n’est pas habituellement relevé ou que l’on veut faire passer sans s’y arrêter, ce qui lui permet de faire apparaître des motivations que l’on préfère refouler et que l’on résiste à reconnaître.  Est-ce plus difficile maintenant alors que l’imaginaire est de plus en plus imposé comme la norme ? Cet envahissement de l’espace public par l’imaginaire n’est-il pas lui-même un symptôme de quelque chose qui ne peut plus se dire autrement ?

Pourquoi les guerres se terminent-elles par le viol des femmes ? Pourquoi la jouissance de la femme fait-elle peur aux hommes ? Pourquoi resurgissent régulièrement les rumeurs complotistes de vols de femmes et de meurtres d’enfants par des « étrangers » ? Pourquoi cette insistance, parmi tous les démembrements commis, de la décapitation mise en scène ? Pourquoi les enfants sont-ils les premiers à jouer à couper des têtes et arracher des membres ? Pourquoi les arrachements d’enfants à leurs mères et à leur mère-patrie ? Pourquoi les profanations de sépultures ? Pourquoi les enfants sont-ils régulièrement maltraités par les institutions humaines, ou pointés comme les coupables ? Pourquoi les sacrifices guerriers de toute une génération ? Pourquoi le péril jeune convoque-t-il tant de fantasmes et de projections ? 

Grâce à Freud, il n’est pas possible de concevoir la vie psychique humaine en ignorant les pulsions sexuelles et de destruction. Une défense perverse contre cette acceptation consiste à invoquer les pulsions comme responsables, comme diaboliques et ainsi se refaire une virginité. La résistance à la psychanalyse continue de porter sur la question de la sexualité qu’il faudrait évacuer ou maîtriser, ce qui est la même chose. Ne faut-il pas voir dans l’engouement pour toutes les méthodes psychothérapiques à la mode les mêmes aspirations perverses à la jouissance sans faille que dans toutes les manifestations de haine envers celui ou ceux qui seraient désignés comme empêcheurs de jouir en rond ? Le corps est mis en accusation et est sommé de correspondre aux idéaux. 

Freud nous a enseigné que la jouissance, à l’origine, c’est-à-dire mythiquement, est indifférenciée, totale, et que le Moi cherche à rejoindre cette indifférenciation, expulsant hors de lui, comme n’existant pas, tout ce qui viendrait faire différence. Ce Moi est donc une construction imaginaire qui va précisément à l’encontre de ce qui caractérise le fonctionnement psychique humain tout en en étant le produit : faire des différences, analyser en faisant des coupures pour se construire une structure à réinvestir dialectiquement comme un monde réel. Le narcissisme des petites différences est la haine de la différence dont l’autre est le messager par les traits qu’il porte, haine qui vise uniquement à signifier à cet autre qu’il est l’autre indésirable, persona non grata dans ce moi attaché à son indifférenciation. Ce qui est rejeté du réel du corps réapparaît chez l’autre comme altérité inassimilable, comme signe de l’étranger sinon de l’étrange. La première coupure effectuée est donc une forclusion (Verwerfung) qui, à réintroduire de l’Un qui soit du Tout sans reste, rejette la responsabilité de cette coupure sur l’autre (alien) dès lors persécuteur, empêcheur de jouir en rond. Toute Bejahung, cette acceptation de la négativité du symbolique en soi qui ouvre à l’altérité pour entrer un par un dans le symbolique comme sujet et pouvoir se faire représenter par des signifiants auprès d’autres signifiants, est bien précédée d’une Verwerfung. Il n’y a du sujet que dans la différenciation, ce qui correspond d’ailleurs au fonctionnement neurologique où n’est perçue que la différence qui fait signe. C’est du signifiant lacanien dont il s’agit, que l’on aurait tort de réduire au signifiant linguistique, car pour Lacan le signifiant ne vaut que dans ses effets de signifié et ne se réduit donc pas à la dimension d’un ordre symbolique. Le sujet ne se fait reconnaître que par des signifiants, auprès d’autres signifiants, ce qui le rend dépendant pour sa reconnaissance de la dimension phallique, donc de la reconnaissance. Le terme latin tollere qui signifie à la fois « soulever en acte de reconnaissance », « élever des enfants », et « détruire, piller », peut nous aider à comprendre ce que vient signifier ce signifiant « phallus » dans le procès culturel de reconnaissance et d’éducation (je remercie Monsieur Carlos Levy de l’Institut de France pour ces précisions). Le père de l’Antiquité faisait acte de reconnaissance en soulevant l’enfant, en l’érigeant pour l’établir dans le monde, ce qui le préservait de l’exposition, basses-œuvres laissées aux femmes. 

Cette différenciation qui est à la base de l’acculturation ouvre par l’analyse à la structure et au traitement dialectique de ce qui construit le monde humain et ce qui construit le rapport de l’humain à ce monde qui n’a rien de naturel. Le concept de nature n’est par conséquent en rien en adéquation à une nature dont l’humain est foncièrement « abstrait », pour le meilleur et pour le pire. Une relecture de la psychanalyse reste à ce propos à faire à partir de l’anthropologie de Jean Gagnepain. Ce concept de nature recouvre pour une part ce qu’il en est du rapport à une jouissance totale originaire, fantasmée, illusion d’un réinvestissement naturaliste de ce concept pourtant produit par l’esprit humain. Le concept de mère comme originaire rejoint ainsi le concept de nature comme on le retrouve dans celui de Mère-Nature. Un concept en écho est celui de Mère-Patrie si chère à Poutine et à d’autres. En ce sens, Poutine est un naturaliste : il prend un concept comme une chose à retrouver dans la nature. Mais comme à chaque fois que l’on penche sur un des pôles d’une dialectique, celle-ci fonctionne moins bien et le retour du refoulé n’est pas loin. 

La Mère-Patrie est promesse de jouissance sans limite, et en particulier sans les limites de la sexualité qui impose le manque, la castration, l’insatisfaction du désir pour continuer à être désir. Bien plus, cette jouissance fantasmée viendrait comme compensation à l’abstraction de l’humain, à sa nature contre-nature, au lieu de traiter dialectiquement cette abstraction comme l’a fait Freud avec son concept de pulsion entre corps et psychisme. Il est à noter que les théories antipsychanalytiques rejettent en premier la pulsion, comme le fait explicitement Bowlby par exemple. Ce rejet de la dialectique se voit aussi dans le rejet de tout ce qui serait taxé d’inutile au profit de l’utile, que ce soient des activités, des valeurs, des métiers, des personnes, des nuances verbales. 

Un père me dit un jour qu’il ne peut pas accueillir son fils, car, dit-il « j’ai une famille, moi ! ». On voit là jusqu’où peut aller l’absence de toute dialectique, quand en l’occurrence le concept de famille est coincé dans un imaginaire qui exclut le symbolique et le réel. Ce même père voulait que je soigne son fils pour ses « pulsions », pur corps exposé dans le réel à ses pulsions et déchu du symbolique. L’enfant objet de ces paroles criminelles est clairement l’empêcheur de jouir en rond. C’est pourtant grâce à ces « pulsions » indésirables que cet enfant a pu recevoir ces paroles de son père comme une réponse sur laquelle il a pu se construire malgré les pulsions destructrices de son père. La pulsion pousse chacun à faire son chemin entre pulsion de mort et pulsion de vie, entre haine et désir, entre sans valeur et sans prix, arrêt sur image et anticipation, vide et identification, jouir et être joui, être et avoir le phallus. 

Le phallus est ce tiers-élément toujours manquant et toujours présent dans la scène subjective qui oriente le désir mais qui ne le résume pas. Bien au contraire, le phallus révèle le gouffre du désir. Le Penisneid qui pour Freud donnait équivalence de valeur au Penis, à l’enfant, aux fèces, par conséquent à l’argent, vient d’un mot qui veut dire désir mais aussi haine, comme dans Klassenneid (haine de classe). Il y a autour des objets du désir une dialectique entre désir et haine qui peut se fixer dans la haine ou dans l’emprise. Le danger vient de cette fixation qui signe l’arrêt de la dialectique, la fermeture du champ du désir (que Lacan situait entre I et a, entre la tension vers l’idéal ou vers le déchet, champ qui peut se fermer au profit des situations hypnotiques sacrificielles). Ainsi, ce qui fait qu’une mère fera fonctionner la fonction maternelle pour son enfant, n’a rien à voir avec son soi-disant désir d’enfant ni avec le refoulement de l’inceste ou de l’infanticide. Le meurtre ou l’inceste procèdent d’une ruine de la dialectique entre phallique et non-phallique, de l’incapacité de la mère d’échanger de la jouissance Autre contre de la jouissance phallique. Il n’y a pas une jouissance qui serait bonne et pas l’autre, il n’y a pas non plus une jouissance masculine et une jouissance féminine. C’est la capacité dialectique d’échange et d’ouverture du champ du désir qui compte. 

L’enfant lui-même est pris dans la dialectique entre exposition (mise à mort par le Maître Tout-phallique) et soustraction (négativité du sujet, pure hypothèse de l’enfant qui va parler), puis dans la dialectique entre Nom-du-Père et Désir-de-la-Mère. Il ne s’agit pas qu’un des deux pôles refoule l’autre complètement mais que l’un n’existe pas sans l’autre. Il ne peut y avoir du sujet que dans le ratage de tout accordage, de toute harmonie, grâce au croisement de deux dialectiques. Entre identification au parricide et champ de bataille du corps de la mère, l’enfant a le choix des armes pour se mettre à mort et ainsi écrire son propre refoulement du crime. Enfant exposé ou enfant épargné ? Y a-t-il une meilleure place entre les deux ? Ne s’agit-il pas de deux formes de crime, deux manières pour que l’enfant ne compte pas, ne puisse pas se compter ? Cet enfant à tuer est le refoulé social, toujours prêt à faire retour. Serge Leclaire, dans « On tue un enfant », disait bien que l’enfant ne vivait qu’à condition que la lutte dure entre lui et l’enfant merveilleux, le temps d’une vie. 

Venons-en à l’essentiel de notre propos et aux questions auxquelles nous voudrions tenter de répondre. Qu’est-ce qui peut conduire une mère à l’infanticide ou l’enfant à réaliser sur d’autres cet infanticide ? Le viol n’est-il pas aussi une forme d’infanticide ? L’infanticide est-il lui-même une tentative de parricide (cf Gérard Pommier et Guillaume Nemer) ? Si la racine du crime est incestueuse, le désir incestueux ne protège-t-il pas de l’inceste et du crime ? 

Notre thèse consiste à partir du fait que les désirs incestueux ne sont pas la cause du crime mais de l’angoisse qui pousse au crime. Gérard Pommier, dans « Racine cubique du crime – Incestes », défendait qu’il fallait « donner la première place dans l’ordre de la causalité à l’angoisse de l’inceste, au parricide et à la criminalité qui en sont les conséquences ». Les désirs incestueux sont eux-mêmes une défense contre l’inceste, contre le passage à l’acte incestueux. Dès lors que l’enfant fait le constat de la chute de cette illusion qui lui faisait croire que la mère lui obéissait, les désirs incestueux viennent entériner cet impossible qui vient structurer le monde de l’enfant et organiser la séparation. Ce dont il y a à se séparer est le corps de la mère, c’est-à-dire sa jouissance. Tant que la mère paraît obéir, cette jouissance est inentamée et ne confronte l’enfant à aucune dialectique. Ce qui apparaît le plus difficile pour un enfant, n’est pas la séparation, ce dont il s’accommode très bien finalement, mais est plutôt la conséquence que cela prend par rapport à la jouissance de la mère : celle-ci est entamée imaginairement au profit d’un autre, le double dans le miroir qui se fait le support de la jouissance perdue. Plus encore, l’enfant se culpabilise d’être l’agent de ce dommage et cherche dès lors à rétablir l’intégrité de la jouissance maternelle. Les coupables vite identifiés sont les désirs incestueux, cette sexualité dont il faudrait se débarrasser pour rendre à la mère sa virginité. D’où tous les fantasmes d’intrus, d’impurs, d’étrangers, de têtes à couper (pour les séparer des corps rendus impurs par les mauvaises pensées, pour établir une bonne fois une distinction entre nature et culture) sur qui détourner les pulsions de mort et ainsi épargner la mère pour qu’elle redevienne ce temple, ce sanctuaire, cette enceinte utérine lavée de toute semence étrangère. 

Une famille clanique refoule l’instant d’étreinte sexuelle ; une cité, une nation, refoule le crime originel de sa naissance. Quand levée du refoulement il y a, cela ne concerne pas les pulsions mais les représentations refoulées (ce que Freud entendait par pulsion pour simplifier son propos). C’est le refoulement qui crée l’horreur et non l’inverse. Ce ne sont d’ailleurs pas que des représentations linguistiques qui sont refoulées mais aussi des gestes, de la nomination, des valeurs. Il y a alors un aspect sacrificiel dans les levées de refoulement : les criminels sont comme des prêtres sacrificateurs de la déesse-mère, celle qu’on ne peut approcher qu’au prix de la castration réelle, comme des séraphins. Ce sont des anges annonciateurs de la misère humaine dans laquelle ils administrent de force le réel d’une jouissance. Ils répètent ainsi le meurtre de Caïn le bien nommé sur Abel. La peine administrée à l’humanité coupable est toujours sexuelle dans le sens du sexuel dont il faut laver le corps de la mère. 

Les débordements pulsionnels ne font pas qu’accompagner la guerre qui désinhiberait l’excitation agressive : c’est le but premier de la guerre d’exporter le viol, l’impureté du sexuel, hors de la mère-patrie. Le déclenchement de la guerre passe toujours par le retour du refoulé comme venu de l’extérieur : l’ennemi est un violeur de la mère-patrie, et elle se termine par la réexportation vers l’extérieur : violer les femmes de l’ennemi, leur interdire ainsi de s’inscrire dans une filiation, une transmission du Nom, de la langue et beaucoup d’autres choses. Tout ce que l’ennemi possède est imputé à un vol de jouissance, à une appropriation phallique indue. Il faut dès lors sortir l’arme phallique et frapper comme frappe la loi, rendre l’autre méconnaissable dans les deux sens sexuel et symbolique, sans désir et sans père. 

Et le père ? Le bon fils est l’assassin du frère aimé par le père, ce père fautif sexuellement. Freud avait bien vu que la haine était celle du père. Pour le père ? Venant du père ? La haine est pour ce qu’il représente, ce ratage dans la structure, l’acculturation toujours ratée qui fait apparaître des désirs inconscients, du sujet de l’inconscient. Violer la femme c’est laver la mère de tout désir, par haine du père. La haine est la fermeture du champ du désir entre imaginaire et réel. Que devient l’amour pour le père ? Freud dit que cet amour vient de la dépendance envers sa protection. Mais de quoi a-t-il à protéger l’enfant ? N’est-ce pas de l’absence de dialectique autour de la jouissance de la mère, dialectique qui permette que la loi de l’inceste laisse la place à la loi du désir ? Cette loi du désir est celle de la dialectique entre le Nom-du-Père et le Désir-de-la-Mère. Pas l’un sans l’autre. Il faut que le père parle, ne serait-ce qu’un mot, et que le désir de la mère fasse question. 

Pourquoi l’infanticide ? Il y a une chose chez Médée qui aide à comprendre son obstination dans la souffrance. Elle ne jouit pas de l’infanticide, au contraire, elle est divisée, entre amour pour ses enfants et la nécessité de les tuer, amour pour le père et nécessité de le tuer en eux pour pouvoir être mère à la place de la sienne. Elle ne transgresse pas un interdit, elle se raccroche à un impossible : il n’est pas possible pour elle de ne pas faire de parricide, ou de ne pas tenter de le faire, dans un dernier hommage mortel, parricide qu’elle retourne aussi contre elle, contre la chair de sa chair, seul moyen que ces enfants soient les siens. En l’absence de parricide, ses enfants ne pouvaient-ils être autre chose que des enfants incestueux ? Comment être sûre que réellement l’inceste « c’est mort » ? Quel acte sera suffisamment symbolique quand la parole ne fait pas acte ? Beaucoup de femmes s’empêchent de multiples manières de devenir mères. Ne restent-elles pas dans l’indécidable entre bord et effroi, entre paix symbolique et retour de l’horreur ? Devenir mère nécessite d’accepter cette dialectique qui est celle du symbolique, entre beauté et effroyable, entre désir et haine. Transmettre la vie c’est transmettre le désir, transmettre ce qui court entre les mots, entre les gestes, les articulations de la voix, les objets, qui sont autant de signifiants du deuil d’une jouissance perdue. Toute mère est comme Shéhérazade qui ne peut cesser d’habiller ce que l’interdit a de signification mortelle. Nommer son enfant, c’est lui donner des ancêtres, de quoi absorber suffisamment de négativité pour vivre, de quoi entamer une jouissance sans nom, sinon c’est le corps de l’enfant qui trinque ou qui se sacrifie.

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