Annie Staricky, psychanalyste, Paris, annie.staricky@free.fr
Rédigé avec le concours de :
♦ Caroline Arène, avocate au Barreau de Paris, pour les questions relatives au droit de la famille , caroline.arene@wanadoo.fr
♦ D’un groupe de réflexion à l’IHFB (Institut hospitalier franco-britannique) de Levallois-Perret (92) : Dominique Champetier de Ribes, médecin-chef de service de médecine interne,
Annick Champetier de Ribes, diététicienne, Frédérique Cohen, médecin, David Giely, médecin, Christine Jockey, médecin, Sylvie Pihouée, infirmière, Delphine Rouchou-Bloch, médecin, Marie-Hélène Tügler, médecin.
Ce texte a été écrit en décembre 2012 et fût transmis au Conseiller de l’Elysée.
I – Le contexte social, juridique et psychologique
a) Contexte social : la reconnaissance sociale du couple homosexuel
L’actualité d’une législation relative au couple homosexuel indique que la stigmatisation qui frappait l’homosexualité est en voie de régression. C’est un fait positif, qui doit être salué.
En 1999, un nom différent du mariage, le pacs, a été proposé pour l’union homosexuelle, mais avec des droits sociaux restreints : la reconnaissance sociale de l’union était donc acquise, mais portait la marque d’une inégalité au niveau des droits sociaux, ce qui explique la revendication de grande ampleur, y compris au niveau européen, pour obtenir une égalité légitime au niveau de ces droits sociaux.
La revendication du mariage pour le couple homosexuel :
♦ exprime et satisfait à cette demande légitime d’équivalence de droits sociaux ,
♦ mais méconnaît la différence existante entre l’union hétérosexuelle et l’union homosexuelle quant à la procréation, la filiation biologique hétérosexuelle et le droit de l’enfant à connaître cette origine,
♦ cette différence justifierait deux dénominations différentes pour les deux unions,
♦ mais l’affirmation de cette différence est actuellement confondue avec une discrimination sociale.
Notons que si la revendication de l’adoption par les couples homosexuels peut prendre aujourd’hui place dans un débat de société , c’est du fait de l’avancée scientifique qu’est la procréation médicalement assistée (PMA), conçue pour les cas de stérilité du couple hétérosexuel. Mais en disjoignant la procréation, du rapport hétérosexuel nécessaire à la conception d’un enfant, la PMA est aujourd’hui envisagée de façon très problématique pour les couples homosexuels.
La difficulté est que cette revendication d’un droit au « mariage homosexuel », légitime dans le cadre de la reconnaissance des droits sociaux de deux adultes, pose difficulté eu égard au droit de l’enfant qui viendra à naitre dans la vie de ce couple. En effet :
b) Contexte juridique : l’enfant né pendant le mariage
Dans notre Code Civil, l’enfant né pendant la durée du mariage a automatiquement pour père l’époux et pour mère l’épouse. C’est la présomption de paternité.
Qu’en sera-t-il d’un enfant né pendant la durée d’ un mariage homosexuel ?
c) Contexte psychologique
Rappelons, sur ce point, comment Freud a éclairé les raisons inconscientes de l’homosexualité, par le fait, qu’au moment du complexe d’Oedipe, à trois ans, le sujet tourne son désir vers le même sexe et non vers le sexe opposé. Ce faisant, Freud a reconnu socialement la position homosexuelle sans jamais la stigmatiser : la psychanalyse ne stigmatise pas, mais déchiffre la vérité inconsciente du sujet.
Freud explique, par le complexe d’Œdipe, la nécessité, pour la construction psychologique du sujet, de l’intervention du père entre la mère et l’enfant, pour que l’enfant puisse se construire en tant qu’homme ou femme.
d) Les impasses du débat actuel
Il y a beaucoup de confusion dans le débat actuel : traité à tort comme un débat idéologique, il est en fait un débat de société :
♦ Confusion de la revendication légitime d’une égalité de droits sociaux, avec la revendication d’une égalité des sexes, qui méconnaît la différence des sexes quant à la procréation.
♦ Confusion de la reconnaissance de la différence des sexes – à l’origine de la procréation d’un être humain- avec une discrimination sociale ou raciale.
♦ L’affirmation de la réalité de la différence des sexes est associée à tort, de nos jours, à une position idéologique : elle est soutenue principalement par la droite, les représentants des cultes, le FN. Que fait la gauche ?
♦ Méconnaissance d’une nécessaire singularité pour le mariage des homosexuels, conduisant à rayer du Code civil les termes de mère et père, repères fondamentaux de la famille et de la perpétuation des générations.
♦ Négation du droit, égal pour tout enfant, à connaître la filiation biologique hétérosexuelle dont il provient, connaissance pourtant nécessaire à sa construction psychologique.
II – Argumentaire
a) Génétique et psychologique
La différence des sexes n’est pas une affaire d’idéologie mais de réalité et de structuration :
Elle relève à la fois de l’anatomie (code génétique), et d’un processus psycho-affectif (importance de la fonction paternelle dans le complexe d’oedipe) qui structure l’enfant, lui permet de devenir homme ou femme et de désirer le sexe opposé dans une rencontre qui rendra possible la procréation . Pour la position homosexuelle, le désir ne s’est pas noué à la différence mais au même sexe, ce qui rend impossible la procréation.
L’identité sexuée : le complexe d’Œdipe et la fonction paternelle
Toutefois, si la différence anatomique des sexes (masculin -féminin) est un réel incontestable, elle n’est pas suffisante pour qu’un sujet se sente homme ou femme : il y faut les opérations psychiques complexes, qui passent par le langage et les identifications au parent du même sexe, permises par la fonction paternelle, pour qu’un sujet assume sa position sexuée. C’est le fameux complexe d’Oedipe théorisé par Freud , qui montre que l’assomption de la position sexuée se réalise au cours d’un véritable «scénario amoureux» autour de trois ans : la petite fille se tourne d’abord «amoureusement» vers son père, constitue sa mère comme rivale gênante, avant de pouvoir s’identifier à elle comme fille; le petit garçon, lui, se tournera d’abord vers sa mère, tentera d’éliminer le rival qu’est le père, avant de se réconcilier avec l’identification à son père.
Etre homme ou femme est donc aussi une affaire de langage et d’identification .
Dans cette structuration oedipienne, la fonction paternelle est essentielle : garantie de fait par le père, elle introduit l’enfant à la loi symbolique, qui est l’interdit de l’inceste : en désirant la mère et en ayant avec elle des relations sexuelles, le père signifie à l’enfant que cette place lui est réservée, à lui seul, le père. La fonction paternelle indique cette limite qui permet à la petite fille comme au petit garçon d’abandonner l’amour et la rivalité oedipiens pour ses parents et de devenir à leur tour un homme ou une femme.
Est ainsi démontrée l’importance pour la construction psycho-affective et sociale de l’enfant d’avoir les repères d’un père et d’une mère, qu’il s’agisse des familles hétérosexuelles, des familles mono-parentales ou des couples homosexuels.
Sur le plan de la psychopathologie, les névroses des sujets attestent, de façon générale, qu’il est toujours question, dans la souffrance des symptômes, d’un raté qui concerne entre autre la constitution de la différence sexuée dans l’histoire du sujet.
b) Juridique
La nécessité de protéger avant tout le droit de l’enfant, au nom du principe constitutionnel d’égalité de tous les enfants, d’avoir la même connaissance et la même reconnaissance de leur filiation biologique hétérosexuelle
De par notre Code Civil qui prévoit une présomption de paternité, la naissance d’un enfant pendant la durée du mariage confère automatiquement la filiation de cet enfant aux deux parents qualifiés de père et mère.
Qu’en sera-t-il de la naissance d’un enfant survenue pendant l’union homosexuelle, si elle est qualifiée de « mariage », avec la confusion possible avec le mariage hétérosexuel ?
L’enfant aura deux pères, ou deux mères ?
Le projet de supprimer la notion de père et de mère du Code Civil pour la remplacer par parent 1 et parent 2 revient à nier la différence des sexes, laquelle est nécessaire à la procréation physique d’un enfant, et à son développement psychologique pour qu’il devienne un adulte homme ou femme.
Un régime d’exception effacerait ainsi le droit commun.
En cas d’adoption, seuls les droits de l’adoptant seraient reconnus au détriment de ceux de l’enfant adopté?
Au nom du droit commun et du principe constitutionnel d’égalité, tout enfant a droit à connaitre son origine biologique hétérosexuelle et à ce qu’elle soit reconnue.
Le rôle de la société, et de l’Etat, est de protéger l’enfant, tous les enfants, de manière égale, pour que l’avenir de nos générations soit préservé.
La revendication du mariage homosexuel porte sur le fait qu’il n’existerait pas de dispositions légales suffisantes pour protéger le partenaire du couple. Or, il existe déjà dans le Code civil des dispositions permettant de protéger le partenaire du couple homosexuel en cas de décès et des dispositifs de délégation, totale ou partielle d’autorité parentale et de partage d’autorité parentale, qui rendent infondée la demande de «mariage» pour le couple homosexuel.
Ajoutons également, pour répondre à l’argument d’un prétendu retard de modernité de la France, qu’un rapport du Sénat de novembre 2012 sur les législations comparées, établit que l’Allemagne, le Royaume Uni et l’Italie n’ont pas adopté de loi sur le mariage homosexuel, et que, dans les pays dans lesquels il existe une législation sur le mariage homosexuel tels que Canada, Belgique, Suède, Danemark, Pays Bas, Espagne, Portugal, il n’existe pas de présomption de filiation de l’enfant né pendant l’union homosexuelle.
c) La dénomination de l’union homosexuelle
Il est souhaitable que la dénomination du mariage soit assortie du qualificatif «hétérosexuel», pour le «mariage hétérosexuel», et «homosexuel» pour le «mariage homosexuel», car les deux unions ne sont pas équivalentes quant à la procréation et la filiation biologique hétérosexuelle.
Nos sociétés dites modernes, tendent à assimiler la différence des sexes à des différences sociales ou raciales discriminatoires ( l’étoile rose pour les homos !).
Or, reconnaître la différence des sexes, qui est au fondement de la vie humaine, ne saurait en aucune manière être une discrimination.
d) Les risques de débordement social
L’idée que soient effacées du Code Civil les notions de père et de mère risque d’entrainer des débordements sociaux violents, y compris contre la communauté homosexuelle, elle-même, menacée d’être à l’origine de cet effacement….. Soulignons que seul un lobby minoritaire d’homosexuels porte cette revendication du mariage homosexuel, laquelle ne représente pas la majorité de la communauté homosexuelle, qui , selon de nombreux témoignages, se retrouve ainsi instrumentalisée, voire menacée de «traîtrise» si elle affirme publiquement qu’elle ne revendique pas le mariage homosexuel …. Ironie de la situation : l’institution du mariage elle-même est déjà en perte de vitesse dans nos sociétés !
Les français sont choqués par la mise en cause des repères de la famille, y compris par l’Etat, et nombreux sont ceux qui menacent de descendre dans la rue pour défendre ces repères.
Attention à la violence ! Le malaise de notre société tient déjà à la défaillance de l’autorité et de la fonction paternelle, qui produit des dégâts et des effets de violence sur les sujets. Les passages à l’acte meurtriers des jeunes augmentent dramatiquement…….
e) Le rôle de l’Etat dans la garantie de la filiation et de la généalogie
Il serait dramatique que l’Etat institue une nouvelle défaillance : celle de nier le lien entre la différence des sexes, la filiation et la généalogie. Ce projet est lourd de conséquences pour notre société et les générations à venir.
Pierre Legendre (Les enfants du Texte, 1992) a parlé « de la fonction parentale de l’Etat» : nul ne peut être inscrit comme fils de… ou fille de… au sein d’une famille, si ces places ne sont pas reconnues et garanties au plus haut niveau de l’institué qu’est l’Etat, comme représentant de la Loi symbolique, garante de la filiation et de la généalogie.
La responsabilité de l’Etat est donc considérable dans ce débat de société, qui porte sur les fondamentaux de la famille et qui n’est pas une question idéologique.
III – Recommandations : singularité de la législation du «mariage homosexuel» et respect du droit de l’enfant
1 – Réaffirmer que la différence des sexes, à l’origine de la procréation d’un être humain, n’est pas une discrimination sociale, ni raciale : ainsi peuvent et doivent co-exister les deux modèles, hétérosexuel et homosexuel, chacun dans sa singularité, sans que la logique de l’un conduise à effacer la logique de l’autre.
2 – Nécessaire distinction, pour le couple homosexuel, entre la parentalité comme fonction éducative, et la filiation biologique hétérosexuelle, qui devra faire l’objet d’une transmission à l’enfant par le couple homosexuel, en tant qu’il ne peut lui même l’assurer. En effet, à la différence de l’union homosexuelle qui n’engage que les partenaires du couple, cette fois le couple engage l’existence d’un enfant et de son droit de connaître son origine hétérosexuelle.
3 – Le droit de l’enfant est que lui soit transmise la vérité de la filiation biologique dont il provient, pour que ne soit pas effacée pour lui la référence nécessaire à la différence des sexes, qu’il ne pourra pas trouver au sein du couple homosexuel qui l’élèvera. L’amour est très important mais ne suffit pas à transmettre le repère de la différence sexuée. Ce repère devrait être inscrit dans la loi : par exemple :
Etat civil :
♦ Parentalité : fils ou fille de Monsieur … et Monsieur …, ou Madame… et Madame
♦ Filiation biologique : hétérosexuelle . Sans précision .
Le récit de l’origine biologique relèverait de la responsabilité du couple et resterait privée.
Ainsi, une telle loi pourrait reconnaître au couple homosexuel une fonction éducative de parentalité , sans démentir la vérité de la filiation biologique hétérosexuelle dont l’enfant provient.
La reconnaissance de cette filiation et sa transmission à l’enfant donnera légitimité à l’adoption homosexuelle.
4 – Que soient ajoutés au terme de mariage deux qualificatifs pour indiquer la singularité de l’union du couple quant à la filiation :
♦ le «mariage hétérosexuel» qui implique la fonction parentale éducative et la filiation biologique,
♦ le «mariage homosexuel» qui implique la fonction parentale éducative et la transmission de l’information sur la filiation biologique hétérosexuelle.