Réduire le père à sa fonction biologique, à une gouttelette de sperme : il fallait y penser ! Et cela au nom de l’Egalité. On a beau être de gauche et militer contre les discriminations bien réelles, rien ne nous oblige à lutter en plus contre des inégalités imaginaires. Dans l’inconscient tout est possible : faire un enfant avec qui l’on aime ou désire, indépendamment de la réalité sexuelle et des places généalogiques, ne pose pas plus de problème que de tuer quelqu’un que l’on n’aime pas. Pour autant, faut-il élever la logique de l’inconscient au rang d’une nouvelle légalité ? Le désir d’enfant ne se discute pas, il est toujours légitime mais il demande avant tout à être reconnu, qu’il soit réalisable ou impossible à satisfaire par les voies physiologiques harmonisées au langage. Le langage fait Loi pour énoncer qu’un enfant dans tous les cas a, non pas un papa et une maman, mais un Père et une Mère. Décider a priori que légalement un tiers nécessaire à la procréation peut ne pas exister dans l’histoire qui sera racontée à l’enfant à venir, c’est se lancer dans une aventure expérimentale dont on est loin de maîtriser les effets.
Mais après-tout, dira-t-on, au nom du bon sens, en quoi cela vous importe-t-il ? Comme analyste cela me concerne avec un intérêt égal à celui qui m’anime face aux inventions dont chacun est capable pour contourner son incomplétude et exercer sa toute puissance magique et désormais scientifique. (« La Science avec une grande Scie » disait Alfred Jarry). Au un-par-un chacun construit ses arrangements plus ou moins solides tant qu’il n’en souffre pas et tant qu’il ne nuit pas aux autres. Or c’est bien là que j’entrevois un problème qui déborde ma pratique rivée à la relation thérapeutique bienveillante et exempte de jugements. En effet, si les couples de femmes et/ou les femmes seules sont autorisées par la collectivité à engendrer des enfants sans pères, quel message sera adressé de facto à tous les autres enfants ? Il s’énonce ainsi : « Tu vois : un père ce n’est pas nécessaire. Regarde autour de toi et tu verras qu’il est possible de s’en passer. C’est même la loi qui le dit.»
En des temps reculés, en référence à un vieux mythe grec, chacun était invité à renoncer à ses pulsions interdites, ce qui l’obligeait à lutter contre lui-même et contre ses premiers désirs. Cette lutte était psychiquement structurante et valorisante, et l’ambivalence à l’égard du père faisait trace ineffaçable de l’âpreté de ce combat. Avec ce qui se profile, le combat s’arrête faute de combattants. C’est la société elle-même qui débarrasse nos petits anges de l’Empêcheur de jouir en rond de l’objet interdit. L’effet est déjà observable cliniquement : au Père qui fait défaut légalement se substitue un Sur-moi dont on sous-estime la férocité.
Bien sûr il n’est que temps de se délester des abus de la société patriarcale mais abolir le père jusqu’à supprimer son nom, sa place et son rôle dans la généalogie, c’est jeter le bébé avec l’eau du bain. Comme psychanalyste je ne sais pas dire précisément ce qu’est un père mais j’éprouve, jour après jour dans ma pratique, ce qu’il en coûte de ne pas en avoir un.
Jean-Pierre Winter