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Séminaire du 13 Octobre 2013

Reprise et suite de la question : En quoi la psychanalyse reste-elle une discipline subversive ?

Il va s’agir d’articuler cette question d’un point de vue philosophique et psychanalytique(clinique et théorique).

Si l’on compare les différentes formes de psychothérapies par rapport à la psychanalyse, il faut réajuster certains arguments un peu éculés, tels que :

  ♦ « Soigner par la psychothérapie produit des effets immédiats mais conduit au pire. » (Lacan)
  ♦ La peinture (psychothérapie) qui ajoute ; la sculpture (psychanalyse) qui retranche.
  ♦ L’intérêt pour le sujet disparait avec les protocoles psychothérapeutiques…

Dans tous ces débats, on ne parle plus d’une chose fondamentale : la question de la vérité.
Le problème c’est que le statut de la vérité n’est pas le même pour la psychanalyse que pour les neurosciences.

On ne parle plus de la vérité or c’était la principale préoccupation de Freud. Lacan l’a poursuivie mais en articulant savoir et vérité (via le transfert) donc en « des idéalisant » la vérité :
« C’est du savoir supposé que l’analysant fait transfert… Or le psychanalyste, la vérité il ne l’a pas, pas toute. Elle ne peut que se mi dire. » (Lacan – Livre XVII)

Articulation entre savoir et vérité – Désir de vérité –

Est-ce que pour être analyste ou analysant il faut être animé du désir de vérité ?
L’exemple clinique du « Cas Dominique » de Françoise Dolto va éclairer d’emblée la question.
C’est la 1ère séance avec Dominique seul. Il entre avec le modelage en pâte fait dans la salle d’attente et dit : « Je pense que j’ai subi une histoire vraie »… « Qui t’a rendu pas vrai » poursuit Dolto. « Mais c’est ça ! Comment savez-vous ça ? » « Je ne le sais pas. Je le pense en te voyant. » Lui : « Je pensais me retrouver dans la salle quand j’étais petit, je craignais les cambrioleurs, ça peut prendre l’argent ça peut prendre l’argenterie, vous ne pensez pas tout ce que ça peut prendre ? »
Alors qu’il se tait, Dolto pense la « sale » et dit : « ou bien ta petite sœur ? »
Lui : Oh ! Vous alors, comment est-ce que vous savez tout ? »
Dès le 1er entretien, ça se passe à l’insu des protagonistes, se pose d’emblée la question du transfert et son articulation au désir de vérité.

Après ce remarquable exemple clinique, Jean Pierre Winter va articuler les points de vue analytiques (théorie et clinique) et philosophiques de la question.
Le désir de vérité est le fond de commerce de la philosophie. Freud ne suivait pas les philosophes ; il trouvait ça « limite parano ».
Le désir (possession d’un objet) appartient au registre des affects. Le désir de vérité est donc un affect. La vérité est un pur objet par rapport au désir.
Qu’on puisse avoir un appétit pour la vérité, quelle est la nature d’un tel désir ?
Deux options se présentent :

  ♦ soit on considère qu’il est un désir parmi d’autres et alors à quelle place est-il dans la hiérarchisation de nos désirs ?
  ♦ soit il serait nécessaire, incontournable de voir dans le désir de vérité le désir suprême, au sens où tout désir serait désir de vérité, au fondement de tout désir.

Autour de ces 2 options, philosophie et psychanalyse achoppent.

Dans un 1er abord, le désir de vérité semble inclus dans la liste interminable de nos désirs : désirs sexuels, de bonheur, de pouvoir, d’erreur même (j’aimerais bien ou préfèrerais me tromper mais …)
Le désir de vérité serait alors corrélatif « au désir naturel de connaître ». (Aristote)
Tout savoir vise en son fond la vérité de son objet.

Dans le Banquet, Socrate va intervenir : « Il faut dire que celui qui désire, désire une chose qui lui manque et ne désire pas ce qui lui manque pas. »
Il est de l’essence de tout désir de se porter vers ce qu’il n’a pas. S’il y a désir de vérité, c’est qu’elle nous manque. A partir de là, Diotime va démontrer à Socrate que tout désir est désir de vérité.

Pour Diotime, c’est désir de contempler la vérité ce qui n’est pas loin du sentiment océanique. Ce n’est pas du tout la position freudienne où l’accès à la vérité est porteur de détresse. Selon Platon, les êtres contemplatifs sont épris de vérité.
Pour chercher la vérité, il faut en avoir déjà une idée (réminiscences).
Malgré la beauté séduisante du Banquet, une telle théorie du désir comporte une conception hautement intellectuelle de la vérité. Or le désir, affect primaire, semble en son fond éloigné de tout raffinement intellectuel ; là où il y a du désir, il y a du primaire :
« Seule la brute bande bien ».

En conséquence, anoblir ce qui serait l’affect le plus primaire dans l’homme serait un raffinement qui n’est qu’un des motifs du refoulement. Nous sommes tous soit à vouloir refouler le désir au nom de la vérité soit à refouler la vérité au nom du désir.

Remettre donc en question une valeur philosophique sur la vérité et le désir qui l’accompagne : qui éprouve un désir de vérité ? Qu’est-ce que ça veut dire d’éprouver un désir de vérité ? Quel désir de puissance est derrière le désir de vérité ?

Pour Nietzche : « à supposer que le désir soit femme, il s’agira d’interroger quelle volonté de puissance est derrière le désir de vérité. »
Pour Foucault, c’est une « volonté de vérité ». (A développer la fois prochaine)

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