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Séminaire du 14 Janvier 2014

 Jean Pierre Winter poursuit sur la question de la vérité puis sur le rapport de la vérité au savoir.

La position de la psychanalyse est difficilement cernable. Pour Freud, il faut aimer la vérité et avoir le courage de la dire. Pour Lacan, il faut apprendre à ceux qui viennent nous voir à aimer la vérité.

Mais la vérité est un piège car il ne faut pas croire que pour la psychanalyse ce serait le fin du fin.

Pour Lacan, il y a une place pour la vérité ; le psychanalyste peut dire le vrai. Mais la question est de savoir qu’est-ce qui se passe à la place de la vérité : là où la vérité a sa place, est à sa place, il peut y avoir le mensonge.

Les quatre discours sont différents les uns des autres ; à la place de la vérité, on ne va pas trouver la même chose.

Le but n’est pas de dire la vérité. Comme psychanalyste, nous n’avons pas à juger de la place mensongère de celui qui parle. C’est très important sur le plan clinique.

Dans le discours qui se tient sur le divan (associations libres/écoute flottante), repérer ce qui viendra à la place de la vérité.

S’il est hystérique, « le plus de jouir » sera en place de vérité. Il faudra faire un quart de tour à ce discours pour qu’il change. Pour les autres structures, il faudra hystériser le discours. Quoi qu’il en soit, refuser de donner ce qu’il demande, demande d’amour ou de complétude… Ce qui n’est pas refuser de répondre à ses questions.

Si je fais mine de donner, le sujet méconnaîtra à tout jamais son désir et croira que je possède ce qui lui manque.

 

Le désir de vérité est-il un désir parmi d’autres ou bien est-il au fondement de tout désir ?

Le désir de vérité est bien le nerf de tout désir, ce qui ne veut pas dire que tout désir ait pour objet la vérité. Mais tout désir met en jeu la vérité. On pourrait en conclure que l’expression « désir de vérité » est un pléonasme. Eh bien non !

Un désir de vérité revendiqué comme tel peut se présenter comme revendication contre la loi. Exemple, la loi sur l’euthanasie où la souffrance, le désir de mourir se confrontent à une loi qui limiterait ce désir.

 

De nos jours, au désir de vérité, on substitue le désir de transparence. Ce qui voudrait occuper la place de la vérité. Il n’est pas indifférent que la vérité se soit transformée en transparence.

Depuis quand ? Depuis la Perestroïka et la Glasnost. Si on dit que la transparence c’est l’autre nom de la vérité, on dira que la vérité est un terme d’inquisiteur ; sauf que par la torture on peut obtenir des aveux qui ne sont que la vérité du tortionnaire.

Dans le droit talmudique, il est interdit de condamner quelqu’un sur la base de ses aveux.

Si le désir de vérité peut être ainsi piégé, il peut aussi être utilisé comme moyen dans la religion : « en vérité, en vérité je vous le dis »…  Sur quel bord se situe le Christ quand il invoque la vérité ? Il sait, le Christ, qu’il est voué à la mort. Il ne peut dire « qu’en vérité » car ce qui fera preuve, c’est sa mort.

Ce propos là : « je dois mourir » est aussi celui du fanatisme. Il y a une proximité de bord entre la vérité et la mort.

En hébreux, la vérité se dit « hmt » et la mort « mt ».

Cela a servi à l’histoire du Golem. Cette créature tirée de la terre glaise est devenue vivante quand le rabbin qui l’avait façonnée Yehuda-Leib (cabaliste XVI e siècle) inscrivit sur son front « hmt ». le Golem s’effondra quand le rabbin en  effaça le « h ».

 

Ce qui différencie la vérité de la transparence, c’est que la vérité n’existe pas sans le mensonge ; avec la transparence, il n’y a pas d’ombre. Cela supprime la dimension de l’inconscient, de l’opacité à soi-même. « Tout homme est dans sa nuit ». Aujourd’hui, il n’y a plus de nuit,  plus de limite à l’absence d’ombre. Il n’y a plus de mystère.

 

Savoir et vérité

Les quatre discours font la place à l’impossible, au ratage :

– Le discours du maître → Gouverner

– Le discours universitaire → Enseigner

– Le discours de l’analyste → Psychanalyser

– Le discours hystérique → Aimer

« Gouverner, Enseigner, Psychanalyser : Trois métiers impossibles »

(Voir Les carnets de psychanalyse – N°17 – 2005 – )

 

On peut basculer d’un discours à l’autre mais il n’y a que les pervers qui sont dans les deux discours en même temps. Le pervers c’est celui qui est à la fois dans un discours (« je sais bien ») et un autre (« mais quand même »). Il est hors éthique ; le discours de la perversion est le bien commun le mieux partagé. Personne ne peut tenir qu’un seul discours ; même Lacan a pu tenir des propos qui relevaient du discours du maître ou de l’hystérique.

 

Au début d’une cure, mettre en acte l’injonction freudienne : « oubliez tout ce que vous savez ». Sinon vous tenez une position dans laquelle savoir et vérité se confondent. Dès lors l’analysant n’a plus rien à vous apprendre. Une analyse qui se déroule sans que l’analyste apprenne quelque chose n’est pas analytique. Toute interprétation qui se fait au nom du savoir analytique ne peut avoir d’effets souhaitables.

« L’analyste ne s‘autorise que de lui-même », c’est à dire pas de la théorie analytique.

Quand l’analyste confond savoir et vérité, commet cette faute éthique, va surgir une production de jouissance, de passage à l’acte… Car l’analysant n’attend que ça : « Vous détenez le savoir  (la clé des songes) qui fera vérité pour moi ». D’où le succès de Jung.

 

Ces quatre discours sont des repérages.

Dans le discours hystérique, à la place de la vérité il y a l’objet « a » qui a à voir avec la jouissance. Le plus de jouir vient à la place de la vérité : « c’est vrai ce que je dis, la preuve c’est que je l’éprouve. » Ce n’est pas parce que l’hystérique pleure ou se met en colère qu’il a raison.

 

Comment se met en place le transfert dans ces conditions ? Et qu’est-ce qui se passe quand il y a transfert ?

Réponse : le patient succombe, il tombe amoureux. (Polysémie du mot « tomber » qui unit l’amour et la mort) Mais il ne le sait pas. « Le transfert, on le devine » (Catherine Muller). C’est flou. Si on est obligé de le deviner c’est qu’il est inconscient.

 

A quoi peut-on le repérer ?

Si dans les entretiens préliminaires, l’analyste fait une interprétation et si à la séance d’après le patient change de discours, on peut déjà dire qu’il y a transfert. Ni l’analysant ni l’analyste ne savent de quoi le transfert est fait en début de cure.

A quel moment est-ce que le transfert prend corps ? A quel moment le sujet supposé savoir s’incarne ? Est-ce qu’il y a un transfert a priori ?

Quand il y a demande d’analyse, si le transfert est déjà là, il y a des chances pour que quelque soit l’analyste, ça marche. Sinon, on chicane : « il me faut un analyste comme ci ou comme ça ! ».

Le sujet supposé savoir, c’est l’analysant lui-même. Il s’agit de transférer le sujet supposé savoir sur un autre. L’analysant met en place cette fiction pour que ce soit l’autre le sujet supposé savoir. Eh bien ! C’est cette fiction qui est la place de la vérité : «  je vais faire comme si le sujet supposé savoir c’était vous. »

 

La fiction est le moyen d’accéder à ce qui se passe à la place de la vérité.

« Si vous vous laissez prendre à mon discours de fiction, discours du « comme si », je  n’aurais pas d’autre moyen que de passer à l’acte.  Si vous me répondez du lieu du savoir ou du supposé savoir, c’est que vous vous trompez, que vous avez confondu ce qui amène à la vérité avec la vérité elle-même, puisque vous êtes sourd à la dimension du « comme si ».

 

Le séminaire se termine avec  une ouverture sur cette question : pourquoi Freud associe-t-il la psychologie des foules et l’analyse du moi ?

Le distinguo individuel/collectif n’est pas pertinent du point de vue psychanalytique.

Avec la théorie du complexe d’Œdipe, Freud aboutit à l’idée que ce qui est vrai individuellement est vrai universellement.

Comment peut-il affirmer une chose aussi énorme ?

Il part d’une chose très simple : il n’y a pas d’autonomie du sujet. Le sujet dépend du  jeu signifiant, la psychanalyse est une clinique de l’Autre.

Commet se constitue –t-il dans la dépendance de l’Autre ?

 

La question sera reprise au prochain séminaire.

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