Textes & Documents

Séminaire du 29 Mars 2014

Jean Pierre Winter introduit ce séminaire par une longue citation de P.H. Castel (tome II de  «  La fin des coupables » édition Ithaque p. 313) de laquelle il va se démarquer pour démontrer que tout ce discours sur l’autonomie est complètement contraire à l’enseignement de la clinique analytique.

Il se réfère à Lacan dans « L’envers de la psychanalyse » : « J’ai souvent insisté sur ceci que nous sujet supposé savoir ne savons pas grand chose ».

L’analyste dit : « Allez y ! Dites n’importe quoi ! Ce sera merveilleux. »

Et le transfert se fonde sur ceci qu’il y a un type qui à moi pauvre con, me dit de me comporter comme si je savais de quoi il s’agissait.

C’est le patient que l’analyste institue comme sujet supposé savoir.

Il y a une situation créée par le praticable analytique qui fait que l’analyste peut dire n’importe quoi, ça aura  des effets. Dire la même chose au café que sur le divan, ça ne fait pas le même effet. D’où la question de l’éthique analytique et de la responsabilité du psychanalyste. On sait bien qu’on manie de la foudre. Mais quand ça explose : une TS, un changement de métier, la conception d’un enfant, ça engage la responsabilité du praticien… Qui a un inconscient !

Quelle est sa responsabilité de sujet ?

Freud a assigné une tâche aux psychanalystes : assécher le territoire du « ça » pour élargir celui du « moi ». Ce qui veut dire restreindre le territoire du ça et du surmoi.

Ce qui se résume dans la célèbre phrase : « Là où c’était je peux advenir ».

Lacan corrige : ce n’est pas le « Moi », c’est le « Je ».

Il ne s’agit pas de faire en sorte que le moi se renforce. Il s’agit de poser, de faire l’hypothèse que derrière les actes non intentionnels du sujet, derrière ses pulsions, il pourrait y avoir un principe organisateur qui masque le chaos,  le « Je ».

C’est le « Je » qui déciderait de nos actes à notre insu : actes manqués, lapsus… Un « Je » est derrière qui mettrait en mouvement des actes indéterminés qu’il s’agirait de subjectiver.

Là où nous agissons de la manière la plus subjective nous sommes le moins subjectivés. On ne se reconnaît pas.

Quand l’analyste lui-même fait un acte manqué (oubli d’un patient dans la salle d’attente par ex.) il a à le subjectiver. La certitude à l’inconscient fait partie du transfert de l’analysant. (Lacan) L’irresponsabilité c’est le règne de celui qui ne veut pas subjectiver ses actes.

La psychanalyse est subversive (sub – verbe – sive  –> il n’y a pas de verbe qui se dise sans qu’un sujet soit supposé). C’est le sujet de l’inconscient, une fiction. On n’a jamais vu de sujet de l’inconscient, il n’y a que des émergences de sujet, il n’y a pas un sujet en continu, c’est l’hypothèse qu’une psychanalyse va vers une plus grande responsabilité du sujet mais aussi vers la possibilité de porter un jugement.

Si le sujet est responsable, il doit y avoir des conséquences. Les sujets s’interdisent de juger de leur aliénation au grand Autre, de porter un jugement sur sa tyrannie, sur sa jouissance : « il n’y a pas de responsable, ni moi ni l’Autre ». Or c’est à partir de ce moi qu’il va pouvoir émerger, par éclipse, un  « je ». Le « Je » nous n’y avons accès qu’à partir du moment où il y a jugement. Quand on s’autorise à juger, on fait exister de l’Autre. Tant qu’on ne juge pas, on n’existe pas.

Tant que l’analysant se pose en victime, porte-t-il un jugement sur l’acteur du trauma ?

« Il m’a humilié »… Répéter après lui « il m’a humilié » peut produire un effet de jugement.

Ce temps où l’analysant va se poser en victime se rapproche de la théorie de la séduction à laquelle Freud y ajoute la théorie du fantasme.

Dans le fantasme le patient apparaît dans ce qui est le plus traumatique à travers sa relation à l’objet du fantasme, soit au « a » chez Lacan. C’est à partir de là que Lacan va postuler le sujet de l’inconscient.

A quel moment comme analyste, on sait qu’on a affaire au sujet de l’inconscient ?

Quand on a affaire à l’opacité du sujet, quand il n’apparaît à celui qui parle que comme étrangement/familièrement présent. C’est le même sujet mais en tant que divisé.

 Dans son journal, A. Harendt remarque que tout est toujours double ; que la volonté par exemple, est redoublée par le désir. Or Lacan voit de la division là ou elle voit du redoublement : le phallus se présente toujours de façon dédoublée.

Ce qu’oublie A. Harendt  c’est que le désir est le désir de l’Autre. Autrement dit,  contrairement à ce qu’avance P.H. Castel, il n’y a pas d’autonomie du sujet.

 La question du désir est au cœur de l’Ethique. Lacan arrive à cette idée que l’éthique est ce qui permet à un sujet d’échapper à sa culpabilité mortifère, névrotisante. Le sujet qui cède sur son désir s’enfonce dans la névrose, la mélancolie. On ne peut imaginer l’Autre sans désir. Ce désir que j’imagine être le désir de l’Autre est mon désir. Il est inconscient. L’Autre n’existe pas avec un « A ». L’Autre c’est un lieu, un lieu où pour le sujet il y a quelque chose de sa vérité. Le grand Autre, c’est le lieu où je loge mes signifiants. C’est le corps ; c’est « En Corps ». Il n’y a de signifiants qu’incarnés. C’est le lieu énigmatique dont personne ne peut rendre compte, où le registre symbolique vient s’articuler au réel du corps et va se répéter de façon itérative.

 Cette question de la responsabilité nous amène à questionner notre capacité à porter des jugements. Est-ce que ce que nous entendons à un moment de la cure est régressif ou progressif ? Régression du sujet ou progrès dans sa subjectivation ?

Freud s’est posé la question dans la Science des rêves mais aussi pour le collectif. Freud porte des jugements sur le sujet mais aussi sur l’Histoire. Ainsi le bolchevisme naissant est-il pour lui une régression. Quant au christianisme, est-il progrès ou régression ? C’est poser la question de la différence entre l’illusion (impossible à contester, paranoïa donc régression) et l’erreur (constructive, liée à la science donc progression).

Dans l’Art les deux se confondent.

Dans Moïse et le monothéisme, à quoi on a à faire ? A une erreur ? A une illusion ?

 Freud  va essayer de montrer que ce qui est un progrès pour la vie de l’esprit n’est pas la même chose que ce qui est un progrès pour la religion.

L’interdit de la représentation chez les hébreux fut un progrès pour de la vie de l’esprit, un renoncement pulsionnel. Mais Saint Paul, en reconnaissant le meurtre fondateur du Père, contrairement au déni des Hébreux, a rendu fossile la religion hébraïque. D’un côté, il a fait faire un progrès dans la vie de la religion et même dans la vie de l’esprit mais d’un autre côté, avec la levée de l’interdit de la représentation, il y a eu une perte sèche, une régression. 

 Freud n’hésite pas à dire qu’une psychanalyse n’est pas quelque chose qui déresponsabilise l’homme. Tout au contraire, elle lui permet de porter des jugements, de décider et de savoir ce qu’il va faire de sa vie.

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